Le 24 février 2022, les armées russes déferlaient sur le territoire ukrainien. Avec le recul de trois années d’une guerre atroce, tentons d’en reconstruire la genèse de façon froide et objective, à tête reposée.
Partie 2 (suite et fin de l’article paru dans la rubrique « Zoom » de la semaine dernière)
3. Le précédent géorgien
En août 2008, la Russie avait déjà envahi la Géorgie, marquant le début de la seconde guerre d’Ossétie du Sud. Ce conflit avait été déclenché par des accrochages frontaliers entre la milice des séparatistes sud-ossètes, soutenue par la Russie, et les forces armées géorgiennes. La Géorgie tenta de réaffirmer son contrôle sur l’Ossétie du Sud, ce qui a conduisit à une riposte militaire massive de la Russie, non seulement en Ossétie du Sud mais aussi en Abkhazie, une autre région séparatiste. La guerre débuta dans la nuit du 7 au 8 août 2008, lorsque les troupes géorgiennes ont lancé une offensive sur Tskhinvali, la capitale de l’Ossétie du Sud, en réponse à des attaques de milices sud-ossètes. La Russie, sous prétexte de protéger sa population et de garantir la paix, est alors intervenue avec ses forces armées, repoussant les forces géorgiennes et prenant le contrôle de l’Ossétie du Sud et d’une grande partie de l’Abkhazie.
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Ce conflit n’a pas abouti à l’annexion formelle de la Géorgie par la Russie, mais à la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, regions qui restent de facto sous contrôle russe et séparatiste.
Cette invasion était en réaction à l’orientation pro-occidentale de la Géorgie sous le président Mikheil Saakashvili, qui avait des ambitions d’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne, perçues comme des menaces pour les intérêts stratégiques russes dans la région.
Le précédent était limpide.
4. La guerre
En 2021, la Russie masse des troupes à la frontière ukrainienne, avec une intensification des déploiements à partir de novembre. Cette activité militaire fut d’abord interprétée comme une pression géopolitique sur l’Ukraine et l’Occident.
Mais il y avait aussi la théorie du revolver de Chekhov : quand un revolver est introduit au premier acte, c’est qu’on a l’intention de s’en servir. Telle fut rapidement la conviction de Jake Sullivan, National Security Advisor de la présidence américaine. Pourtant, beaucoup restaient sceptiques, notamment en Europe et jusqu’en Ukraine, dont les dirigeants voyaient dans ces rassemblements de troupes russes un moyen de pression davantage qu’une menace d’invasion.
Dès la mi-janvier 2022, la communauté américaine du renseignement conclut de façon unanime à l’imminence d’une invasion russe. Des contacts sont menés au plus haut niveau — celui de la présidence — pour tenter de dissuader Poutine, en lui présentant les conséquences détestables et délétères pour la Russie d’une invasion. Au fil de ces négociations, le point de vue russe est ne varietur, qui exige la reconnaissance officielle et publique que jamais l’Ukraine n’adhèrera à l’OTAN.
Cette garantie, les Américains se refusent à la fournir.
Le 22 février 2022, les troupes russes entrent en Ukraine, inaugurant un carnage qui se poursuit jusqu’à nos jours.
5. Bilan provisoire
L’élargissement de l’OTAN en direction de la Russie et en contravention des engagements de 1990 est la cause déterminante de la guerre en Ukraine. Nier la réalité de cet engagement, nier la réalité du coup d’État pro-occidental de 2014, ne relève pas d’une démarche de connaissance, mais de propagande, qui n’a rien à envier à la propagande russe présentant de façon absurde l’Ukraine comme « État nazi ».
Le conflit entre le messianisme occidental et l’impérialisme russe se tranchera par les armes. Trois ans après l’invasion de l’Ukraine, le Russe a pris une option sérieuse sur l’est ukrainien. On ne voit pas trop quelle serait la configuration géopolitique et militaire qui permettrait un retour du Donbass, a fortiori de la Crimée, dans le giron ukrainien.
Entre le messianisme occidental et l’impérialisme russe, il va falloir réapprendre à composer.