Les huiles sortent des filtres. Éric de Formanoir, ancien avocat, ancien procureur et actuel Président de la Cour de cassation, en fait assurément partie. Un homme honnête. Discret mais à l’efficacité chirurgicale. Sortant de la torpeur estivale, au bon moment, il pointe devant la presse les affres des maladies de Dame Justice au pays. Il n’a pas tort. Et il n’hésite pas, avec ses collègues Paul Nihoul de la Cour constitutionnelle, Wilfried Van Vaerenbergh du Conseil d’Etat et Ria Mortier Procureure Générale près la Cour de cassation, à se préoccuper du respect de l’Etat de droit.
Les 3 plus hautes notes musicales du pays appellent de concert à ce que l’activité juridictionnelle dispose de moyens budgétaires accrus. Des sous et même au plus vite du pognard ! Budget, ô subito sancto ! Cela passerait-il, tant qu’à faire, par une revalorisation des émoluments des magistrats ? On ne serait dans ce cas jamais aussi bien servi que par soi-même. Un juge ou un magistrat de parquet débutant touchera 6.465,18 euros bruts par mois. Un juge ou substitut comptant 12 années d’ancienneté gagnera 8.034,74 euros bruts. Trop peu ?
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Les mêmes clament que l’Etat ne permettrait pas aux juridictions de rendre justice dans un délai raisonnable. C’est peut-être le point de vue le plus « faux-cul ». D’abord parce que ce sont les meilleurs juges qui en général prennent plus que d’autres leur temps. Ainsi la bien connue Isabelle De Saedeleer (hello Alain C. !) et sa célèbre 11ème chambre de la cour d’appel pénale de Bruxelles, réputée pour son scrupuleux examen des droits de la défense. Combien d’autres ne les méprissent-ils pas ces fameux droits, ou ne bâclent-ils pas ? Par ailleurs si les magistrats sont suffisamment payés et que les cadres, du moins à certains moments et à certains endroits, sont assez remplis ; qu’est-ce qui empêcherait là l’organisation d’une relative célérité dans la prise de la (bonne) décision ? D’autant plus que les hautes juridictions, qui bénéficient de référendaires qui leurs préparent les dossiers, ne sont elles-mêmes pas des plus rapides … Le Collège des cours et tribunaux a récemment édicté « objectivement » qu’il lui manquerait 43% de charge de travail. Sans pour autant balayer devant sa porte. La paille et la poutre ?
L’Etat n’obtempèrerait pas aux décisions de justice en matière migratoire (lisez le non-respect des contraintes d’accueil et d’hébergement). En effet. Mais il n’est pas nouveau, ni surprenant, que les pouvoirs publics ne fassent pas exécuter toutes leurs condamnations. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, n’y va-t-il pas parfois d’un intérêt public à soupeser ? Dans ce cas l’Etat considère à tout le moins qu’il se réserve le privilège de l’inexécution. Les vierges effarouchées perdent de vue que cela s’est toujours passé ainsi et, parfois qu’un bien commun temporaire pourrait le justifier.
Nos éminentes toques craignent l’instauration d’un climat de méfiance entre eux et L’Etat. C’est en soi plus inquiétant encore. Ils en appellent au règlement amiable. C’est le moins attendu d’eux. Mais l’Etat est-il vraiment en conflit avec ses magistrats ? Rien n’est moins sûr. L’Etat en tout cas n’y répond pas.
Nos « cracs » veulent enfin une vision à long terme de l’avenir numérique de la justice. Pour eux et pour les justiciables. Sympa. Il n’empêche. C’est que les juges, à d’autres occasions, ne sont pas toujours les premiers à se mettre dans la peau du vilain quidam, vorace de compréhension et d’équité. Le charabia juridique, dans lequel ces majestés se sont si longtemps drapées et que peu d’entre elles délaissent vraiment, peut par exemple leur être retourné. Sans compter ce sentiment omniprésent d’injustice dans une population qui se sent, sondages à l’appui, rarement écoutée. Tout avocat de plus de 40 ans a abdiqué sur le sentiment de justice. De quoi lire à tout le moins le mémorandum des « sages » par l’autre bout de leur lorgnette.