Il est de plus en plus difficile de connaître le Vrai, confia récemment à l’auteur de cette chronique une jeune lectrice, s’inquiétant à la suite, le regard plein de suspicion et quelque peu désespéré, de savoir si cette chronique n’était pas « de droite ». Voilà, résumé en quelques mots, l’objet du dernier essai de Mathieu Bock-Côté, Le Totalitarisme sans le goulag. C’est que, exposé à un torrent d’intox et de propagande, l’on ne sait plus à quel saint se vouer. Hannah Arendt, citée par l’essayiste, l’avait déjà noté : « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. » Quand, faute d’éléments de référence sur lesquels s’appuyer, la réalité devient floue, on perd sa capacité de réfléchir et on se laisse manipuler.

A raison donc, Bock-Côté affirme que « le commun des mortels est désorienté : entre le monde dans lequel on lui dit qu’il vit et celui dans lequel il a l’impression de vivre, il sent de moins en moins de correspondance. » Et, l’impression d’irréalité que cet écart suscite explique la dépolitisation d’un très grand nombre de citoyens. « Si le faux est vrai et le vrai est faux, le dernier refuge de l’individu devient une intimité où il s’investit entièrement, écrit-il, le seul domaine de l’existence où la réalité et le discours sur la réalité coïncident et où il n’est pas dépossédé de son expérience du monde. » La falsification du discours sur le monde, c’est là « la » caractéristique du totalitarisme.

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C’est aussi la caractéristique de ce que le sociologue québécois nomme le « régime diversitaire », une idéologie qui a ses racines dans la révolution contre-culturelle des années 60 et l’évolution de la gauche de l’ouvriérisme vers le culte des minorités. A la défense des travailleurs, relève Bock-Côté, elle a substitué une ambition messianique de délivrer l’humanité du mal incarné par l’homme blanc hétérosexuel cisgenre et de faire renaître le monde sous les auspices d’une diversité rédemptrice. A défaut d’adhérer sans réserve à sa vision du monde, la gauche vous rangera à droite.

Le régime diversitaire part de l’idée d’une discrimination systémique au sein de la société. Il s’ouvre ainsi des perspectives illimitées d’ingénierie sociale. De fait, une citoyenneté parfaitement inclusive telle que la conçoivent les tenants de ce régime nécessite un travail de rééducation permanent afin d’extirper les préjugés de la conscience collective et l’octroi de privilèges aux minorités afin de faciliter leur intégration sociale. Il s’agit de faire perdre son caractère universel à la citoyenneté en catégorisant la population en fonction de considérations ethniques, raciales et sexuelles et la dotant de droits différenciés.

La société perd son caractère organique. Tout doit être déconstruit afin de reconstruire en mieux à partir de l’utopie diversitaire, laquelle, soit dit en passant, fait fi de l’égoïsme et de l’orgueil qui sont ancrés aux tréfonds de la nature humaine. La réalité est subvertie par l’idéologie : il n’importe plus de distinguer le vrai du faux mais de s’assurer de la conformité à l’orthodoxie officielle. Ainsi en va-t-il, avec la théorie du genre, de ce que l’on tenait pour des vérités biologiques et anatomiques sur le corps humain : le ressenti a désormais la priorité.

Le dogme diversitaire fait table rase de tout substrat identitaire. Il instaure l’indétermination. Le genre n’en est qu’une facette, l’antispécisme, qui nie la primauté ontologique de l’humain, une autre. L’Occident renoue avec le communisme en ce que « la science passe du doute fécond aux certitudes  juridiquement certifiées » et en ce que l’individu est appelé à se conformer et à se duper lui-même. Mais, comme le dit Bock-Côté dans ce remarquable essai de conceptualisation de la transformation de l’Occident qui se déroule sous nos yeux, l’essentiel est ailleurs. Il réside dans ce que notre société a engendré un formidable dispositif technocratique et coercitif qui peut à tout moment se resserrer d’un coup et condamner des dizaines de millions de personnes à l’enfermement et au traçage intégral si les circonstances s’en présentent et aussi dans ce que lorsqu’une société se déstructure elle donne libre cours à l’agressivité et à la folie et perd son élan vital.