VERTU ET RETOUR DE BÂTON

Corruption endémique très largement répandue, et pas seulement au sein de la classe politique, ce n’est pas le contexte le plus propice à l’émergence de ligues de vertu. Et pourtant, Constant Mutamba Tungunga se targuait d’être l’ange porteur de l’assainissement général…
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Quand un ministre dispersé fustige un magistrat poursuivi…
Corruption endémique très largement répandue, et pas seulement au sein de la classe politique, ce n’est pas le contexte le plus propice à l’émergence de ligues de vertu. Et pourtant, Constant Mutamba Tungunga se targuait d’être l’ange porteur de l’assainissement général…

Problème fondamental, l’homme n’est pas constant. Il n’est pas non plus organisé, et il s’est lancé en tous sens, sans rien achever. Coupable légèreté. Son investiture, en tant que ministre de la Justice, fut théâtrale. Ah, on allait voir ce qu’on allait voir. Le premier jour en son ministère, le sauveur de la Nation avait veillé à ce que les caméras transmettent l’image d’un justicier surgissant accompagné d’un cerbère. Dans le contexte culturel congolais, le message subliminal était l’annonce de la répression sévère des corrompus. La servile clique des journalistes avait décrit un chien dangereux, énorme, féroce même. Prose ridicule. En réalité, c’était un débonnaire golden retriever, défiguré par une muselière, parfaitement indifférent aux Congolais qui le fuyaient au passage.

Une réforme de la Justice, vraiment ?

Il a ensuite surfé sur la réforme de la Justice, ou plutôt sur la discussion à propos de cette hypothétique réforme, une initiative antérieure à lui. Le calendrier lui en avait offert l’occasion. Le colloque final, à ce sujet, a été placé sous son égide, clôturant un processus de réflexion médiocre remontant à dix ans. Il s’est littéralement installé sur scène. Les panels d’orateurs se sont succédé tandis que le fauteuil du ministre théâtral était en évidence aux côtés de ceux-ci. Le public avait donc tout le temps sous les yeux le ministre assis. Au sein du ministère de la Justice, même travers : convocations spectaculaires de ses conseillers pour leur évaluation par lui-même, annonçait-il, tandis qu’il ne s’y rendait qu’avec des retards de plusieurs heures ou demeurait absent. En réalité, désorganisation du travail de ses subordonnés, déjà peu enclins à travailler. D’une faible productivité avant lui, son administration a atteint le néant. De plus, fustigeant, à juste titre au demeurant, les mœurs douteuses des magistrats, il a déclenché de leur part une cabale contre lui. Des magistrats s’offusquant qu’on les empêche de se vautrer dans la corruption…

Tentative d’empoisonnement, vraiment ?

Puis, il y a eu l’épisode de la tentative d’empoisonnement de Constant Mutamba Tungunga. Certains y croient ; d’autres y voient une mystification. Figure de spectacle, il a aussi tenu un « meeting populaire » à Kinshasa, le 25 mars 2025, paradant sur des affiches où il était qualifié de « chef de file de l’opposition républicaine en RDC ». Concept hautement saugrenu. Pourquoi préciser à des Congolais qu’il se trouve au Congo ? Mais, surtout, avait-il au moins compris qu’être au gouvernement signifiait qu’il n’était plus dans l’opposition ? Dans quel autre pays a-t-on vu un ministre en exercice se targuant d’être simultanément de l’opposition ? Et, de surcroît, le leader de celle-ci !

Comme Poutine, vraiment ?

La levée du moratoire sur l’application de la peine capitale lui a offert de nouvelles occasions de se mettre en scène. Devant un groupe de condamnés à mort rassemblés pour être conduits sur le lieu d’exécution, Constant Mutamba Tungunga a joué au Vladimir Poutine, empruntant son vocabulaire. Ravi de la présence de caméras, il a déclaré qu’il allait poursuivre les kulunas (gangsters urbains) « jusque dans les chiottes ». Y compris par pendaison, l’élimination des kulunas, des nuisibles particulièrement violents et sanguinaires, personne ne s’en plaindra, mais ce ne sont pas des opérations ponctuelles qui les éradiqueront. Encore moins un discours. Du show ! N’est pas Poutine qui veut.

Constant Mutamba Tungunga ministre, vraiment ?

Psychologiquement en phase d’opposition, sans doute, Constant Mutamba Tungunga s’était avisé récemment, en plein discours face à la jeunesse, de mobiliser le public en l’amenant à scander qu’il sentait l’odeur de la corruption. Présente ce jour-là, et manifestement visée, la première ministre, Judith Suminwa Tuluka, a aussitôt pris la parole sans toutefois obtenir l’adhésion de la salle. Scène onirique ou cauchemardesque, c’est selon. Erreur fatale dans la foulée, le jeune ministre a peu après dénoncé publiquement l’ouverture d’une enquête en Belgique sur l’acquisition d’un bien immobilier d’une valeur de 900 000 € par Firmin Mvonde, Procureur général près la Cour de cassation congolaise. Réaction immédiate de ce magistrat, il a aussitôt saisi l’Assemblée nationale en vue de la levée des immunités parlementaires du ministre de la Justice. Il l’a obtenue. 

Selon Firmin Mvonde, Constant Mutamba Tungunga devrait être poursuivi du chef d’outrage envers les membres du gouvernement, des cours et tribunaux et les officiers du ministère public, provocations et incitations à des manquements envers l’Autorité publique, outre la violation de la loi en matière de passation des marchés publics dans le cadre d’un contrat avec la société Zion Construction pour l’édification d’un établissement pénitentiaire à Kisangani (Tshopo). Retour de bâton après des harangues ministérielles hasardeuses au sujet de la vertu. 

Cabale de magistrats visant le ministre de la Justice, conflits d’intérêts de part et d’autre, règlements de comptes politiques, tout cela ne sent pas très bon. La corruption endémique a encore de l’avenir au pays. Quant au théâtre mutambien, rideau !

Guillaume MOKENGELI

La Une

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