Quatre migrants sont morts en tentant de traverser La Manche, ce qui porte à dix-neuf le nombre de décès depuis le début de cette année. 

Le fait devient « divers ». Il ne se passe pas une semaine sans que la presse internationale n’évoque la question des flux migratoires, sous tous ses aspects complexes, politiques et humains. Mais, ce qui se dit moins, voire pas du tout, surtout à gauche de l’échiquier, c’est qu’il existe des vendeurs d’histoires factices. C’est le juteux business qui prolifère sur le dos des migrants. Saviez-vous que pour quelques euros lâchés, on peut vous (ré)inventer une vie ? Flash-back :

M’intéressant déjà à la question, en 2016, micro à la main, je me rends dans la « Jungle de Calais », juste avant l’annonce de son « démantèlement » par le Ministre de l’Intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve. En 2017, je poursuis mes investigations dans le camp de la Linière, installé sur un terrain de la commune de Grande-Synthe, dans le Nord de la France (1500 personnes pour une capacité d’accueil de 700). En 2019, je rencontre des réfugiés au parc Maximilien, à deux pas de la gare du Nord, un point de rendez-vous de la migration au cœur de l’Europe. Face à l’ampleur des récits stéréotypés qui se répètent à mes oreilles, une évidence s’affiche : beaucoup de demandeurs d’asile racontent la même histoire pour un même parcours. Je creuse, même si je sens que mes interrogations ne plaisent pas trop à la bien-pensance.

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De faux récits de vies cabossées

De-ci, de-là, cela discute, on échafaude des stratégies, on réfléchit à sa survie. Une aubaine pour les arnaqueurs. « Pour 50,00 euros, on m’a proposé de me réinventer mon passé », m’explique cet érythréen. « J’étais marchand de légumes dans une petite exploitation agricole. Je n’avais plus de travail, j’ai fui avec ma femme et mes 5 enfants. Mais, apparemment, il vaut mieux dire que ma famille et moi étions en danger de mort. Cela aidera pour avoir le statut de réfugié politique. » L’homosexualité interdite dans le pays d’origine est également souvent utilisée comme argument, notamment pour les Bengalais, comme les dangers liés au contexte géopolitique. Les langues communes à deux pays voisins, mais aux situations géopolitiques bien différentes, sont aussi souvent un facteur qui pousse des migrants qui ne remplissent pas les conditions dans leur pays à tenter d’obtenir l’asile en trichant, en se revendiquant d’un autre pays d’origine que le leur. Certains déclarent aussi qu’ils sont mineurs pour bénéficier du statut plus favorable de mineurs non accompagnés (MENA). A moins de réaliser un examen osseux (soit radiographier de face la main gauche de la personne et examiner les points d’ossification des doigts sachant que la maturité osseuse est atteinte à l’âge de 18 ans), comment faire la différence entre un migrant de 15 ans et un migrant de 20 ans ? C’est parfois juste visuellement physiquement extrêmement compliqué.

Un effet pervers

La parade conseillée en cas de fausse déclaration démasquée ? Les dialectes locaux étant tellement nombreux, invoquer un problème lié à la traduction réalisée par l’interprète lors de la constitution du dossier. Perversité du système, acheter « la plus grande misère possible » ne booste pas automatiquement les chances. Conséquence directe de l’escroquerie :
un manque de confiance grandissant des institutions belges, comme européennes, et une perte record de statuts, au détriment de ceux qui sont véritablement dans les conditions d’octroi, dont les réfugiés politiques. Sans compter, les frontières de l’Union qui se referment (à juste titre).

La poule aux œufs d’or

Les vendeurs de vies sont les pires ennemis du migrant. Ils vendent du rêve et des papiers, mais pour quelles perspectives de vie ? Sans connaître la langue ? Sans formation ? Sans emploi ? Ces fausses histoires, monnayés par des escrocs peu scrupuleux, viennent tout simplement se greffer au trafic d’êtres humains, la troisième activité illégale la plus lucrative au monde. Elle rapporterait environ 3 milliards de dollars aux groupes criminels par an en Europe, et 32 milliards annuels à l’échelle mondiale (chiffres 2023), une kyrielle d’intermédiaires se sucrant grassement au passage. Entre 1200 et 3500 euros par personne, c’est le montant versé aux passeurs pour embarquer dans de petits zodiacs ou, avec un peu de chance, dans des embarcations un peu plus grandes, mais que les migrants doivent piloter eux-mêmes, sachant que les ¾ d’entre eux ne savent pas nager. Le passeur, bien sûr, ne prend pas la mer.

Seuil d’(in)tolérance

Le business de l’exil, c’est la poule aux œufs d’or. Et plus les conditions d’obtention de l’asile seront restrictives (à juste titre), plus les vendeurs d’histoires s’enrichiront sur le dos des migrants prêts à tout pour rester chez nous. L’accès à la migration régulière est souvent présenté comme le moyen le plus efficace de lutter contre la migration irrégulière. Rien n’est moins sûr. Les solutions politiques « impasses » additionnées depuis la crise migratoire de 2016, en réponse « humanitaire », le prouvent à suffisance.

Si l’on fait la même chose, on ne peut s’attendre à un résultat différent. Qui de l’œuf (les exploités) ou de la poule (les exploitants) est arrivé en premier ? C’est peut-être en prenant le problème dans une logique inversée que les flux migratoires pourront être endigués de manière pragmatique et globale, soit couper le mal à la racine et non pas surfer sur une bienveillance électoralement porteuse, mais inopérante pour les demandeurs d’asile qui arrivent dans des pays pensés « Eden », mais en proie à leurs propres problèmes économiques. Mais, pour cela, il faut à l’évidence un fameux courage politique. 

Question subsidiaire : pourquoi l’exploitation de la misère humaine, sur fond de criminalité, n’interpelle-t-elle pas le PS ? L’absence de levée de bouclier, dont les communautaristes ont seuls le secret, serait-elle liée au fait que les migrants ne votent pas ? Exit le clientélisme ! La voie est sans issue en termes de retour sur investissement. Ce trafic n’intéresse pas. Vous avez dit étonnant ? Que nenni ! La gauche nous a habitués au tri sélectif en termes de « nobles » causes.