L’Espagnole Teresa Ribera a été chargée d’un double rôle crucial au sein de la prochaine Commission européenne : superviser l’action climatique et être responsable de la politique de la concurrence. Cette nomination représente un succès majeur pour l’Espagne et le Parti socialiste européen, qui avaient clairement exprimé leur souhait d’obtenir le rang de vice-présidente et un portefeuille « vert » avec des responsabilités pour les politiques climatiques et énergétiques de l’UE, succédant à Frans Timmermans, qui avait dirigé la politique écologique excessive de l’UE. La position de Mme Ribera fait d’elle le numéro deux de la nouvelle Commission.

Ses attributions comprennent la mise en œuvre du plan industriel du Pacte vert, la réduction des prix de l’énergie et la modernisation de la politique de concurrence afin de renforcer l’autonomie stratégique et la compétitivité des entreprises de l’UE. Outre le fait qu’elle représente un grand État membre, Mme Ribera dispose d’un certain nombre d’atouts pour ce rôle, notamment son expérience avérée en matière de transition écologique dans son pays, mais vivement critiquée par l’opposition. Elle sera la commissaire la plus importante de la famille de la gauche, car elle bénéficie également du soutien des verts en raison de son importante connotation écologique.

Teresa Ribera, la militante écologiste

Cependant, sa nomination soulève également des inquiétudes. Son passé de fervente militante pour le climat fait craindre à tous ceux qui ne sont pas des idéologues verts que son engagement ne nuise à la compétitivité de l’UE, qui a déjà été affectée par les efforts de décarbonation, comme le souligne le récent rapport Draghi (voir le PAN de la semaine dernière). En outre, son opposition farouche à l’énergie nucléaire et sa croyance débridée dans les énergies renouvelables intermittentes et variables, ou son soutien à la loi sur la restauration de la nature, que le parti de Mme von der Leyen a fortement critiquée, suscitent des doutes dans certaines capitales et parmi de nombreux eurodéputés. 

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À première vue, sa nomination semble refléter une contradiction dans l’approche de von der Leyen : d’une part, la poursuite d’une politique climatique très ambitieuse et, d’autre part, le renforcement de la compétitivité industrielle de l’UE. Cette tension entre les objectifs climatiques et économiques constituera un défi majeur pour Mme Ribera. Dans sa « lettre de mission », la présidente lui demande de concilier les objectifs de décarbonation de l’économie du Pacte vert — le credo de von der Leyen dans la précédente Commission, et ceux du renforcement de la compétitivité que son parti allemand lui impose désormais en échange de son soutien pour sa réélection. 

L’écologie est-elle compatible avec la concurrence ? 

Elle devra également gérer la politique de concurrence, tout en la modernisant afin de contribuer au renforcement de la compétitivité des entreprises de l’UE, de la durabilité, de la justice sociale et de la sécurité, sans fausser les règles de la concurrence. Il s’agit d’une tâche titanesque, car elle nécessitera l’élaboration d’un nouveau cadre pour les aides d’État, la révision des lignes directrices sur le contrôle des fusions et la mise en œuvre de règlements tels que celui sur les subventions étrangères et la loi sur les marchés numériques. L’harmonisation des aides d’État représente également un défi, d’autant plus que tout ce qui est étiqueté « vert » nécessite une aide d’État sans exception. Elle devra composer entre les pressions pour assouplir la défense de la concurrence, émanant notamment de la France et de l’Allemagne, qui souhaitent davantage de subventions industrielles, et celles des petits États, dits États frugaux, qui s’y opposent. 

Pas tous écolos !

Elle devra évoluer dans un environnement complexe, en étroite collaboration avec d’autres commissaires aux intérêts parfois divergents (énergie, climat, environnement et surtout industrie). Le Danois Dan Jørgensen sera commissaire à l’énergie et, comme Ribera, il est notoirement antinucléaire et convaincu que l’on peut atteindre 100 % d’énergies renouvelables. Ils devraient donc bien s’entendre et les deux contribueront à détruire ce qu’il reste de l’énergie abondante et bon marché dans l’UE. 

Elle devra notamment travailler avec le Néerlandais Wopke Hoekstra (Climat) et le Français Stéphane Séjourné, également vice-président. Ce dernier est chargé du secteur industriel de l’UE, très mal en point. Chacun aura ses propres priorités et visions, ce qui pourrait créer des tensions dans la mise en œuvre des politiques. M. Séjourné pourrait vouloir améliorer la compétitivité industrielle, mais nous attendons de voir ce qu’il en pense réellement, car, à la différence du commissaire qu’il a remplacé en moins de 24 heures, Thierry Breton, il n’est pas un industriel, ayant passé sa jeune vie à passer d’un cabinet à l’autre et d’un poste politique à l’autre. Marionnette de Emmanuel Macron, on ne doit pas s’attendre à beaucoup mieux que dans la Commission précédente.

Von der Leyen était trop écolo

Cette situation reflète le dilemme auquel est confrontée von der Leyen. Elle semble avoir compris qu’elle s’est mise dans une impasse en continuant à se focaliser sur le « vert », alors qu’elle est sous la pression de son propre parti, le PPE, pour soutenir l’industrie, un secteur qui a besoin de plus de flexibilité et de soutien face aux défis de la transition écologique et de la concurrence internationale. C’est également une demande pressante de son propre parti allemand (CDU). Mme Von der Leyen se retrouve donc tiraillée entre ses promesses inconsidérées sur le climat dans la Commission précédente et la nécessité d’améliorer rapidement et significativement la compétitivité de l’UE, un équilibre délicat que Mme Ribera devra également aider à trouver dans son nouveau rôle.

Ribera occupe une position stratégique : c’est la tour de contrôle que les écologistes ont réussi à s’approprier pour verdir l’ensemble de l’UE. Toutefois, son succès dépendra de sa capacité à naviguer dans la complexité organisationnelle des institutions européennes, alors que le nouveau parlement semble moins enclin à avaler les mensonges d’État. 

La super-dotation accordée à l’Espagnole est-elle une manœuvre machiavélique de la présidente allemande ? Certes, Ribera apparaît comme le deus ex machina de la politique verte, mais en lui confiant l’énorme et inextricable dossier de la concurrence et des aides d’État, n’a-t-elle pas réussi à diluer son potentiel de nuisance écologique pour l’industrie européenne ?