Amphithéâtres, tribunes de colloques, auditoires bourdonnent encore de ses silences. Son regard est direct. Sans appel. Un temps avant la parole. « Je ne peux changer de couleur de peau pour me rendre invisible ». Très tôt, je me suis dit que je suis tombée dans un monde de fous et qu’il me faudra m’organiser pour vivre avec eux. 

« Je compris qu’il faudrait toute la vie lutter contre les abus de pouvoir de l’autorité en exercice sur les gens ordinaires. »

Comme la jeune fille prépare une licence en langues et littératures modernes, elle opte pour une année en totale immersion à l’université de Glasgow en Écosse afin de conforter ses connaissances en Anglais. Très tôt, afin de mettre en pratique ses choix existentiels, débutent les premières pérégrinations culturelles. 

« -Vous n’avez qu’à vous taire et réussir aux examens. »

Au fil des années, la lecture apprivoise le silence et la solitude. Les livres vous préservent de l’ennui, vous viennent en aide dans les circonstances périlleuses. 

Il nous fallait affronter dans le cadre professionnel, comme dans la vie quotidienne, ce silence imposé au bénéfice de l’impunité.  Très tôt, nous avions pris conscience du fait qu’hommes et femmes devaient s’engager ensemble dans les mêmes associations, car les revendications étaient sociétales, pas seulement de genre, et nous avions l’ambition, ou le rêve, de combattre les systèmes d’oppression.

Les mots pour défendre les autres me venaient assez facilement mais je m’en voyais dépourvue pour contrer les agressions dirigées contre ma personne, étonnée jusqu’à ce jour par le mépris, les attaques gratuites, les calomnies, ce déni constant de vos capacités intellectuelles qui confine à celui de votre appartenance à l’humanité.

Les années passant, je me rendais compte que la sagesse n’était pas seulement transmise par les livres. Tant de personnalités singulières qui fréquentaient notre maison me fascinaient par leurs propos, leur regard sur le monde, leur intérêt pour des questions éthiques. Tant de vieux sages étaient prêts à transmettre leur savoir. Mais dans la course à la modernité, ils manquaient d’oreilles pour les écouter.

- Le patron est là ?

Il est de ces petites phrases répétées dans des circonstances diverses qui s'incrustent en soi comme un logiciel malveillant et ressurgissent au moment où l'on s'y attend le moins. 

Passer d'un combat à l'autre sans interruption devient éprouvant. Mais aussi exaltant ! Tel est le combat de l’auteure.

Voici le témoignage d'une femme née en Afrique qui vit en Europe, d'une intellectuelle mère de famille qui mène une carrière internationale. Désactiver les pièges multiples et surmonter les périls imprévus ne laissent pas indemne. Moments dramatiques, personnalités exceptionnelles croisées à l'improviste, découvertes de paysages sublimes se succèdent. Une vie se déroule où la sagesse héritée des anciens rejoint l'audace de la jeunesse et l'énergie de la maturité.

Ce récit convie chaque femme, chaque être humain à prendre sa vie en main non par la violence mais par la capacité de dépasser les obstacles sans perdre sa sérénité.

Dominique Aguessy vit aujourd'hui à Bruxelles. Elle est sociologue et auteure d'ouvrages sur les contes du Sénégal et du Bénin, de recueils de poèmes, d'un essai et d'articles de critique littéraire. Elle partage son temps entre l'écriture et ses engagements associatifs.

Toute la richesse de l’écriture se palpe à chaque page. Mille et une pensées fleurissent de sagesse.  Comme l’écrit si bien l’auteure, l’écriture, le roman, le récit nous amènent à reconstituer des mondes disparus, à tisser des liens entre les sources multiples auxquelles nous devons ce que nous sommes aujourd’hui.

Les rencontres de personnalités exceptionnelles, les conversations, les échanges, les écueils franchis grâce à une main tendue au bon moment, les flots de larmes entre deux éclats de rire sont autant de points lumineux qui rendent moins tragiques les traversées de tunnels.

Vos mots coulent de source, Madame. La banalité des mots du chroniqueur ne pourrait que ternir votre propre écriture. Je ne peux que vous citiez une fois encore : « Je suis entrée en poésie / comme on entre en rébellion », pour dire « le quotidien de la marginalité / l’épaisseur du mépris ». La poésie est un chemin de réconciliation avec soi-même, le tissage de liens avec les autres. Elle permet de « renouer les fils de l’histoire / à la vigilance de l’éveil ».

Un combat aux mille visages – Dominique Aguessy – Éditions le Harmattan (Collection Encres de vie) – 2021 – ISBN 9782343235509