Thierry Werts, cet inconnu des lettres, allait bousculer le bel ordonnancement des Lettres belges. À la lecture de For intérieur édité aux éditions pippa, Rony Demaeseneer écrivait déjà : « Un premier recueil fort, personnel qui répond à une nécessité, celle de dire la vérité rien que la vérité face à ces vies isolées, cachées sous les toits de tôle, mais que l’on découvre en son « for intérieur ». Pour Werner Lambersy, la découverte de ce « For intérieur » poétique m’a aussitôt touché par sa justesse de ton et de fonds. Trop près du feu, on se brûle ; trop loin on se gèle. Plus loin dans sa préface, le même Lambersy écrivait : Le poète met tous les jours le monde au monde, et les hommes dans le monde des hommes ! On les connaît hostiles à tout ce qu’ils ignorent et cette peur établit sans cesse un rapport de force dévastateur. Il s’agit donc, pour quelqu’un comme Thierry Werts, de changer ce rapport de forces en rapport d’amour.

Et il est vrai que Thierry Werts allait montrer que l’écriture n’était pas qu’une suite de mots. Son second ouvrage intitulé Demain n’existe pas encore, à des lieues du premier écrit, allait à son tour faire sourciller l’intelligentsia de notre plat pays. Alain Cadéo écrivait dans sa préface de Demain n’existe pas encore : Il est toujours surprenant de constater qu’en peu de pages, on sait donner aux personnages le poids total en charge de leurs âmes blessées. C’est trois fois rien et il y a tout.

Mais n’est-ce pas ce que Thierry Werts nomme : « allongement infini de l’instant »… ?

Le Monde Rêvé d’Alva Teimosa sera à son tour une troisième pierre dans le cheminement intérieur de l’auteur. Mais surtout à mes yeux « Le cairn » que tout écrivain, que tout poète, devrait repérer sur son parcours, s’y arrêter, le soupeser. Comprendre ce qu’est la mise en mots d’une suite d’émotions. Lambersy déjà cité plus haut écrivait, toujours à propos de Thierry Werts, « La force d’un poème, j’ajouterai d’un texte, tient toute dans sa nécessité, sa transcendance, son émotion si on préfère, à son évidence. Écrire un poème (outre qu’on ne peut pas donner rendez-vous au vent, mais qu’on peut toujours laisser la fenêtre ouverte) c’est quoi qu’on en dise souvent continuer à croire à travers tout à l’homme. »

Thierry Werts est cet homme qui a rendez-vous avec le vent. Les mots lui sont offerts décapés, lustrés, brillants de sens. Mais il ne s’en contente pas. Le sculpteur va entrer en action, donner naissance au gemme. Il va bousculer jusqu’à son éditeur.

Pourtant, l’écrivain avoue qu’il n’aurait peut-être pas osé poursuivre sur le chemin de l’écriture…

Le Monde rêvé d’Alva Teimosa est la concrétisation de sa volonté d’interpeller, de surprendre l’ordre établi. Il y réussit fort bien. Son roman, son texte, les flocons de sa pensée sont l’évidence. L’auteur écrit : Je me balade souvent dans les ruelles de ma mémoire. Je voudrais tant être candide. Comme ces épais nuages qui voyagent tout là-haut. 

Le titre de son roman-texte est à lui seul une réflexion offerte au lecteur.

Pour soulever le napperon, j’écrirais que c’est l’histoire d’une femme qui… Mais c’est justement l’histoire, le rêve d’Alva… prénom dont l’étymologie est d’origine suédoise. Il signifie « vie, donner la vie ».

Geneviève Munier écrit à propos de Thierry Werts : Ce dentellier habile à manier le fuseau, carreau et bobinoir et transformer un texte en une vague de guipure… Sensible, amoureux de mots épicés, sucrés, salés, parfumés, Maître dans l’art de couper, réduire, émincer, et de nous mijoter « magistrat-lement »… 

Mais j’en reviens pour ma part à ma chronique et au pitch du roman. Après le prénom d’Alva, nous découvrons que cette dame s’appelle Teimosa. Ici aussi l’écrivain use de subtilité. Le caractère de son héroïne est affiché. Elle est têtue, obstinée, tenace, bornée. Je laisserai au lecteur le choix du meilleur synonyme. 

Au fil de sa lecture, le lecteur découvrira des instants de tous les jours, éclairés avec les mots de l’auteur. Qui n’a pas un jour observé un pigeon dodu, qui se dandinait sur l’appui de fenêtre, tapotant de la pointe du bec le vieux chambranle décrépit.

C’est ce que suggère l’écrivain. D’ouvrir notre regard sur les êtres que nous croisons, de les observer, de découvrir leurs hésitations, leurs tâtonnements, leurs choix, et d’écouter avec eux la petite voix lancinante qui murmure dans leur tête…

N’oublions pas que l’écrivain Thierry Werts est magistrat. Ses personnages il les observe…

Il y a la greffière au sourire discret. Elle côtoie l’innommable. L’indicible. Dans l’ombre du juge, elle brasse la misère du monde par pelletées. Charrie des torrents pouacres de boues infâmes. L’air de rien. Dans l’indifférence générale.

Et quand le patron part à la retraite, les dossiers restent, les affaires sont latentes…

L’arrivée d’une nouvelle toge va tout réanimer.

Un roman pétri d’humanité.  

Le Monde Rêvé d’Alva Teimosa – Thierry Werts – éditions La Trace – ISBN 9791097515799