Carine B. est mère de six enfants. Si elle n’est pas une victime physique des attentats de Bruxelles, à l’identique des militaires ou des journalistes de guerre, psychiquement meurtries, elle est depuis dans un état de stress post-traumatique (ESPT) qui a fait voler son quotidien en éclats. Son mari travaille à la DGTA (Direction Générale du Transport Aérien), sa fille est agent de sécurité, son fils para-commando et l’un de ses beaux-fils est commissaire de police. Le 22 mars 2016, pendant 6 heures, elle n’a pas eu des nouvelles d’aucun membre de sa famille. « Ils étaient tous en poste sur les sites des attentats ou non loin, mais les lignes téléphoniques ont rapidement été saturées. Je n’ai su que tout le monde allait bien que vers 16 heures ! C’est la journée la plus longue de ma vie. Le temps ne passe pas, on devient dingue ! J’en ai été physiquement malade toute la journée. J’ai vomi plusieurs fois, j’avais l’impression de mourir. Et puis, il y a l’après, le contrecoup est encore pire. A voir les images dans les médias, on se dit qu’il s’en est fallu de bien peu, que cela aurait pu être les siens. C’est très dur ! Encore aujourd’hui, j’angoisse tous les jours pour ma famille quand ils partent travailler ». 

Prouver son statut de victime

Séquelles peu ou pas tout de suite visibles, il est très difficile pour ces personnes qui n’ont pas été physiquement blessées, de se faire reconnaitre en tant que victimes. La plus grande difficulté réside, en effet, d’abord dans la reconnaissance de séquelles psychiques et dans l’évaluation du dommage ensuite. Beaucoup de victimes ont l’impression de se faire « juger », alors même qu’un syndrome post-traumatique ne se voit pas. Une non-reconnaissance qui aggrave le sentiment de culpabilité d’être « sain et sauf ». Or, ce syndrome, identifié dans les années 80 chez les vétérans du Vietnam, est une réalité et son intensité à vivre, à ne pas négliger pour celui qui en souffre, peut être comparée aux troubles psychiques liés à l’expérience du combat. A ces expertises médicales et psychologiques s'ajoute l'obligation de démontrer les conséquences économiques des attentats sur la vie quotidienne et professionnelle (arrêts de travail, factures, perte de revenus) pour évaluer le montant de l'indemnisation. De nouveaux préjudices en faveur des victimes viennent d’être reconnus par le droit français.

Des préjudices autonomes reconnus

En France, deux décisions récentes de la Cour d’appel statuant sur l’indemnisation de victimes d’une infraction de droit commun ou d’un acte de terrorisme ont fait l’objet de pourvois en cassation. La Cour de cassation a tranché le 25 mars 2022 : « En raison de leur particularité, les préjudices d’angoisse de mort imminente et d’attente et d’inquiétude doivent être indemnisés de manière spécifique », a précisé la Cour de cassation dans un communiqué (Chambre mixte – Pourvois n° 20-17.072 et 20-15.624)

Dans la première espèce, une personne était décédée quelques heures après une agression à l’arme blanche, après avoir été transportée à l’hôpital dans un état de conscience. La cour d’appel saisie a reconnu l’existence d’un préjudice spécifique tenant en « la conscience de sa mort imminente, du fait de la dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales » et l’a indemnisé de façon autonome. La Cour de cassation a confirmé cette décision. 

Dans la seconde espèce, les proches (enfant et petits-enfants) d’une victime d’un attentat avaient notamment été dédommagés par une Cour d’appel pour un préjudice spécifique « d’attente et d’inquiétude ». Au courant de la présence de la victime sur les lieux de l’attentat, ses proches étaient restés dans l’incertitude quant au sort de leur mère et grand-mère pendant quatre jours. La Cour de cassation reconnaît l’existence d’un préjudice spécifique résultant de « la souffrance qui survient antérieurement à la connaissance de la situation réelle de la personne exposée au péril et qui naît de l’attente et de l’incertitude ».

Indemnification

Le «préjudice d'angoisse de mort imminente » sera présumé pour les victimes décédées et établi par un expert médical indépendant pour les blessés, physiquement ou psychologiquement. Il sera compris entre 5.000 et 30.000 euros. Le second préjudice concerne les proches des victimes décédées. On indemnise alors l'attente et l'inquiétude que les proches des personnes décédées ont ressenties. Ils pourront bénéficier quant à eux d'une indemnisation comprise entre 2.000 et 5.000 euros.

Source : www.courdecassation.fr