« Nous n’avons pas oublié combien notre industrie solaire avait pâti des pratiques commerciales déloyales de la Chine », a souligné Ursula Von der Leyen le mercredi 13 septembre lors du dernier State of the Union de son mandat. « Les marchés mondiaux sont inondés de voitures électriques chinoises bon marché, dont le prix est maintenu artificiellement bas par des subventions publiques massives. Cela fausse notre marché. Je vous annonce donc aujourd’hui que la Commission ouvre une enquête antisubventions sur les véhicules électriques en provenance de Chine. L’Europe est ouverte à la concurrence. Pas à un nivellement par le bas ». En début d'année, l'Union européenne a confirmé l'objectif de ventes automobiles zéro émission à partir de 2035. Concrètement, le marché des voitures neuves devra donc proposer des modèles 100% électrique et plus aucun modèle thermique, essence, diesel, hybrides compris. « La concurrence des véhicules électriques chinois pourrait coûter 24 milliards d'euros par an au secteur automobile européen d’ici 2030 », estimait en mai dernier une étude d’Allianz Trade. De quoi vouloir protéger fermement le secteur.

Comment la Chine s’est imposée

Peu nombreux ont été les analystes à le prédire et pourtant.. En 2023, la Chine est leader mondial dans le domaine. Elle domine pratiquement tous les niveaux de la chaîne de production des véhicules électriques. Une ambition qui se retrouve dans les chiffres : en 2021, les véhicules électriques chinois étaient à 4% de part de marché en Europe, alors qu'elle est de 8% actuellement. Et ce ne serait que le début. Comment ? Grâce un « saute-mouton » technologique, mais aussi grâce à une panoplie d’outils économiques, dont des subventions à l’exportation pour soutenir les constructeurs. 

En ce qui concerne les batteries, « facteur clé de la guerre industrielle », les constructeurs chinois ont aussi mis les bouchées doubles pour combler leur retard sur les acteurs japonais (Panasonic) et sud-coréens (LG, Samsung). Sur le territoire chinois, le gouvernement a par ailleurs accéléré la mise en place de bornes de recharge en libre-service qui constituent encore « le talon d’Achille » de la mobilité électrique en Europe.

La Chine a ainsi réussi en dix ans à créer un écosystème d’acteurs nationaux couvrant l’ensemble de la chaîne de fabrication et d’utilisation des véhicules électriques. Signe des efforts de Pékin pour faire émerger des champions nationaux : aux premiers rangs, figurent BYD, BAYD et BAIC, loin devant Tesla et BMW, premiers constructeurs étrangers en Chine

Concurrence déloyale ou anticipation technologique ?

Tandis que Bruxelles émet des doutes sur des « pratiques illégales », la Chine insiste sur le fait qu'elle récolte simplement les fruits de ses investissements. Et l’enquête annoncée à l’UE répond à cette extraordinaire montée en puissance de la Chine dans l’automobile. En 2021, le pays importait deux fois plus de véhicules qu’il n’en exportait, en valeur. Au premier semestre 2023, l’industrie chinoise a dépassé le Japon pour s’imposer à la première place mondiale, en exportant pour 35 milliards de dollars (32,76 milliards d’euros) de véhicules, contre 21 milliards de dollars d’imports. Quant aux subventions aux voitures électriques, en juin dernier, le gouvernement chinois a annoncé un plan massif de subventions de l'ordre de 66 milliards d'euros à destination de ses constructeurs nationaux et étalé sur plusieurs années.

Action, réaction…

Après les déclarations fracassantes de la présidente de la Commission européenne, la réaction de Pékin ne s’est pas fait attendre. « La Chine exprime sa grande préoccupation et son profond mécontentement à ce sujet », peut-on lire dans une déclaration officielle du gouvernement chinois. 

« Ces dernières années, l'industrie chinoise des véhicules électriques s'est développée rapidement et sa compétitivité a continué de s'améliorer. Ceci est le résultat d'une innovation technologique incessante et de la construction d'une chaîne industrielle et d'une chaîne d'approvisionnement complètes. Il s'agit d'un avantage concurrentiel acquis grâce à un travail acharné et à sa propre force. Il a été favorisé par les consommateurs, y compris l'Union européenne ». Et de poursuivre : « Il s'agit d'un acte protectionniste pur et simple qui perturbera et faussera gravement la chaîne mondiale de l'industrie automobile et la chaîne d'approvisionnement, y compris celle de l'UE et cela aura un impact négatif sur les relations économiques et commerciales Chine-UE ».

Une enquête et après ?

L’enquête européenne démarre en octobre prochain et devrait durer 13 mois, 13 mois durant lesquels une armée d'experts de la Commission européenne, des analystes, des économistes et des avocats vont aller chercher des preuves que l'État chinois aide ses constructeurs de véhicules électriques, par exemple en leur faisant payer l'électricité moins cher, en abaissant les prix des matières premières ou encore en octroyant des prêts à des taux extrêmement favorables, afin de maintenir les prix des véhicules chinois « artificiellement bas ».

Les résultats décideront si l'Europe réagit aux « distorsions commerciales », aujourd’hui présumées ou opte pour une approche plus accommodante envers la Chine afin de maintenir un équilibre précaire dans les relations économiques mondiales. Et il y a de quoi y réfléchir à deux fois. La Chine pourrait en effet prendre diverses mesures de rétorsion et au-delà du secteur automobile. Sanctions qui auraient un impact particulièrement négatif pour les pays dépendants de la Chine pour leurs échanges. 

Sur fond de rivalité technologique avec les États-Unis, rappelons que la Chine a par exemple restreint récemment les exportations de gallium et de germanium, deux métaux rares dont le géant asiatique est le principal producteur et indispensables pour la production de semi-conducteurs. CQFD…