— Les ruptures qui dérapent ?... — Ce n’est pas compliqué, quand je suis quitté, je rends des services… La fille en rouge, elle cherchait quelqu’un de gentil et de facile. Un type avec un parapluie dès qu’on en a besoin.

Dans un parc, un joggeur avait bousculé la femme, renversé son sac. Tout gisait sur le gravier : pince coupante, l’étui d’une paire de lunettes perdue sur une dune de Dakhla, un échantillon de gloss (qu’elle n’utilisait jamais devant son mari). Une brochure touristique recouvrait des bonbons à la violette. L’inutile intégralité de son sac à main était étalée.  Elle avait voulu se remaquiller quelques instants plus tôt parce qu’un homme, assis sur un autre banc du jardin public, avait répondu à plusieurs de ses regards depuis son arrivée. Il était souvent là quand elle venait et elle avait fini par se persuader que ce n’était pas un hasard. À un peu moins de cinquante ans, elle vivotait dans un mariage mort et facile et s’était décidée, depuis l’annonce qu’elle allait devenir grand-mère, à coucher avec le premier homme qui se présenterait, pourvu qu’il fût un parfait inconnu.

L’homme avait de longs cheveux blancs, et la femme donnait l’air d’être sa fille, ou sa petite-fille. Ils avaient bien trente, sinon quarante ans d’écart. Lui est un universitaire à la retraite. Elle, est encore étudiante. Une de ses anciennes élèves disent certains. Quand il gara sa Ford Taunus, modèle 12M de la fin des années 1950, le "Fordiste » portait une veste de tweed, il était aussi élégant et racé que son automobile…

Son mari venait d’expirer. Il lui fallait un homme d’Église. Elle savait qu’un ancien séminariste avait emménagé dans une des chambres de bonne de l’immeuble…

Camille et Camille. Lui est chercheur en médecine. La jeune femme travaille dans une agence de pub. Ils forment un couple équilibré et épanoui. Camille était pour Camille le nombril du monde.

Ces deux autres, ils s’étaient rencontrés à un apéro dog, alors que ni elle ni lui n’avaient de chien…

Comme cet autre couple plus âgé qui vient de répondre à une annonce sur un site de rencontres.

 — Qui suis-je ?...

Aujourd’hui, pour me connaître, je ne suis peut-être plus qu’une suite d’adresses…

Des adresses ? 

— Toutes celles où j'ai vécu depuis mes dix-neuf ans. Je suis aussi des noms de chiens, que j'ai perdus. Des marques de voitures, que j'ai revendues. Des destinations de voyages... Logiquement, mises bout à bout, ces listes vous permettraient de tout déduire de moi : mon rang social, mes goûts, mes fantaisies... Et si je vous les livre chronologiquement, l'ordre vous expliquerait même les hauts et les bas de ma vie. J'ai passé cinquante-huit ans... À mon âge, est-ce qu'on n'en sait pas de moins en moins sur soi ? On est devenu une accumulation de tags, comme on les nomme aujourd'hui. Des étiquettes, plus ou moins passées, certaines à moitié décollées, comme sur les malles de voyage de nos grands-parents. 

C'est affreux de penser cela !

Pas plus qu'autre chose.

Avec Je t'aime, Romain Sardou nous offre, au cœur de Paris, une peinture tendre et impitoyable des nouveaux rapports amoureux.

e questions sur des inconnus qu’on croise ainsi n’importe où, tous les jours. Au lieu de regarder les gens dans la rue, il faudrait les lire…

Un roman tendre, féroce et optimiste, inspiré des exemplums, ces histoires du Moyen Age illustrant ce qui se serait passé si un saint avait succombé à la tentation du diable.

Romain Sardou est l'auteur de thrillers médiévaux et contemporains, mais aussi de romans historiques, philosophiques, et de contes de Noël. Il vit à Paris.

Je t’aime – Romain Sardou – Éditions XO – 2023 – ISBN 9782374480107