Pour Patrice Gibertie, c’est un constat qui traverse toutes les époques : lorsque des prémisses scientifiques, politiques ou économiques sont inconnues ou cachées, à chaque fois qu’un ordre à peu près confortable est remis en cause, toutes les fois qu’une habitude est remise en question, les sociétés humaines ont ce besoin de se fabriquer un adversaire et le groupe dominant se soude alors autour d’une construction morale pour préserver ce normatisme.

« Aujourd’hui, on peut par exemple observer le phénomène avec la construction géopolitique américaine. Ils sont dans la tradition de cette sociologique de l’ennemi et il suffit d’émettre quelques réserves pour dire qu’il y a complot. Mais le mécanisme ne date pas d’hier. Des condamnations au bûcher de sorcières accusées de dérégler le climat au XVIème siècle, en passant par les affaires d’empoisonnements sous Louis XIV, aucune époque n’est en reste de ce processus. »

« La nouveauté de la nôtre est qu’elle est dominée par le scientisme », cette attitude consistant à considérer que la connaissance ne peut être atteinte que par la science et que la connaissance scientifique suffit à résoudre tous les problèmes politico-socio-économiques. « Nous sommes théoriquement dans une société à la pointe du scientifique, mais une société scientifique où les arguments du camp du bien ne sont pas factuels, mais moraux. Ce sont des arguments de croyance, alimentés par des éveilleurs de la bonne pensée et des veilleurs de valeurs. Ces constructions sont destinées à conforter le groupe, mais c’est de la lobotomisation », commente Patrice Gibertie. « Ce qui donne d’un côté un confort, de l’autre un anticonformisme et il n’y a plus de débat possible, comme avec le récent virus ». En sus, face à l’argument phare du « groupe du bien », « la majorité est normale et elle peut dès lors censurer, voire punir … ».