D'un point de vue historique, expose-t-il, l'interprétation conventionnelle de l'« extrême droite » comme étant le national-socialisme, le fascisme et tout ce qui leur ressemble est incorrecte. Ces mouvements ne se qualifiaient pas eux-mêmes de droite et n'étaient pas non plus qualifiés ainsi par leurs opposants de l'époque. Bien au contraire, poursuit Jurgen Ceder, leurs vues révolutionnaires et leur préférence pour un État fort les rangent à gauche. D'ailleurs, Mussolini, alors premier ministre, déclarait en 1933 : « Le XXème siècle sera le siècle de l'autorité, le siècle de la gauche, le siècle du fascisme. » L'identification de ces idéologies avec la droite n'est apparue qu'après la fin de la Seconde Guerre mondiale, par souci des idéologues soviétiques et communistes qui entendaient se distancer de leurs parents totalitaires.

Un terme galvaudé ?

Toutefois, remarque-t-il, même la signification qui prévaut habituellement de l'extrême droite s'est évaporée dans l'interprétation que lui en donnent désormais les médias, lesquels ont, par exemple, ces dernières semaines, désigné comme étant d'extrême droite trois personnes qui n'avaient rien à voir l'une avec l'autre, Alex Jones, Yannick Verdyck et Giorgia Meloni.

Alex Jones est proche des milieux républicains et actif dans les mouvements Tea Party et End The Fed (lequel prône l'abolition de la banque centrale américaine). C'est aussi un sympathisant de Ron Paul, l'ancien représentant républicain de l'Etat du Texas à la Chambre des représentants des Etats-Unis et candidat à l'élection présidentielle de 1988 pour le Parti libertarien. Jones se définit comme libertarien paléo-conservateur et milite pour un respect strict de la Constitution américaine. Il aurait fait fortune en diffusant des théories du complot sur son site Infowars. 

Yannick Verdyck, le jeune homme de 36 ans qui a été abattu par la police dans des circonstances qui restent à éclaircir à Merksem en Belgique, avait, selon Jurgen Ceder, des convictions se situant à mi-chemin entre l'anarchisme et le libertarianisme, des points de vue diamétralement opposés aux idéologies dans lesquelles l'individu est soumis à l'État et au peuple.

Quelque chose de non souhaitable ?

Quant aux idées de Giorgia Meloni, le grand vainqueur des dernières élections législatives en Italie, elles ont fait l'objet de cette chronique la semaine dernière : elles n'ont rien à voir avec les idées ci-dessus, ni avec celles de Mussolini, bien qu'une certaine presse l'ait présentée comme son héritière spirituelle.

« Le mot fascisme », écrivit George Orwell dans Politics and the English Language, « n'a plus de sens si ce n'est dans la mesure où il signifie quelque chose de non souhaitable.Les mots démocratie, socialisme, liberté, patriotisme, réalisme, justice, ont chacun plusieurs significations différentes qui ne peuvent être réconciliées entre elles. [...] Les mots de ce type sont souvent utilisés de manière consciemment malhonnête. C'est à dire que celui qui les utilise à sa propre définition personnelle, mais permet à son interlocuteur de penser qu'il veut dire quelque chose de tout à fait différent. »

En perte de définition ?

Quelle est la définition actuelle de l'extrême droite ? « L'extrême droite est », répond Jurgen Ceder, « ce que la presse veut qu'elle soit. Il s'agit d'un outil lexical qui permet au journaliste d'établir une association entre des points de vue qu'il n'aime pas et des phénomènes dont il pense qu'ils effraieront ses auditeurs, sans qu'il ne soit nécessaire de chercher à démontrer cette association. »