Une des fonctions principales de la prison est la resocialisation des détenus. C’est du moins ce que postule l’article 9 de la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus. Dans ce cadre, le travail pénitentiaire est censé tenir un rôle primordial. Il est justifié par la formation des détenus, le fait d’obtenir une rémunération, la responsabilisation, la (re)socialisation et la normalisation. Ces fonctions restent néanmoins assez illusoires puisque le travail pénitentiaire est peu rémunéré, répétitif, peu formateur et avilissant. Il se rapproche d’une exploitation indigne de la force de travail des détenus.

Plus-value sociale ou pure exploitation ?

A côté des vêtements Made in China, des composants de nos téléphones portables extraits par des enfants dans les mines en RDC, des clandestins dans le bâtiment ou l’industrie des soins, les visages de l’exploitation par le travail sont multiples. Invisible mais de facto institutionnalisée, elle l’est aussi derrière les murs de nos établissements pénitentiaires. Pendant sa détention, le détenu peut avoir accès au travail. Et les initiatives carcérales ne manquent pas : du travail domestique, du travail d'entretien ou du travail pour des firmes externes, comme de la reliure, de la menuiserie, de l’emballage, des travaux de montage, collage et expédition. Certains établissements pénitentiaires ont mêmes leurs propres ateliers, comme la forge de la prison de Bruges qui produit notamment des grilles. D’autres encore proposent du travail agricole. C’est le cas à Marneffe et à Saint-Hubert. A Audenarde, une quinzaine de détenus fabriquent des pantalons, des vestes et des chemises pour leurs codétenus ainsi que des vêtements de travail pour le personnel de surveillance et le personnel technique. 

Des pneus redessinés à Leuze-en-Hainaut – copyright Cellmade – SPF Justice

A Mons, l’atelier de confection tourne aussi à plein régime. Ainsi, dès le mois d’avril 2020, les détenus se sont appliqués à produire durant la crise de Covid-19 des masques buccaux médicaux professionnels pour pallier la pénurie. Si l’OIP souligne le « geste citoyen civique » des travailleurs concernés et leur participation « à l’effort collectif », il ne manque pas de rappeler la face sombre de cette mise au travail qui se fait entre opacité et arbitraire. Elle foule du pied les règles qui encadrent le droit du travail sans aucun moyen de contestation.

Des masques buccaux fabriqués à Mons - copyright Cellmade – SPF Justice

Un dumping social bien huilé

Cellmade est le label qui désigne tout ce qui a été fabriqué par des détenus dans notre pays. « Recherché: chefs d'entreprise qui ne craignent pas d'aller en prison », c’est en s’appuyant sur ce slogan volontairement provocateur que la Régie du travail pénitentiaire, chargée de la mise au travail et de la formation des détenus en Belgique, a lancé en 2014 sur le net : www.cellmade.be. Dans une quarantaine d'ateliers installés dans les différents établissements pénitentiaires belges, des détenus prestent pour le compte de plusieurs milliers d'entreprises. « Le travail pénitentiaire est plus efficace qu’il n’y paraît. De la main-d’œuvre flexible et motivée se tient chaque jour à votre disposition. Et si vous alliez faire un tour en prison ? », annonce en ouverture de site la plateforme. Un panel de prestations est ainsi proposé à des prix très concurrentiel. « A Saint-Hubert, on rejoue La vache et le prisonnier », peut-on encore lire. Le fromage produit grâce au lait des 200 vaches élevées par les détenus au centre de détention est distribué dans les fromageries de la région.

Une exploitation sous couvert de main tendue

Si le travail en prison permet aux détenus de subvenir à leurs besoins primaires (un paquet de cigarette et quelques produits d’hygiène), l’exploitation sous couvert de main tendue en est pourtant le prix à payer. Le salaire des détenus n’est pas adapté à la réalité économique (entre 0,75 et 2,50 euros/heure). Certes, depuis 2020, les détenus ne peuvent toutefois pas gagner moins que 0,75 euros/heure. Interpellé à la Chambre par des députés sur ces très faibles rémunérations, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborn a consenti depuis à ce qu’il considère comme une « largesse » :  « J’ai rapidement veillé à augmenter le budget global alloué, qui est passé de 3,7 millions d’euros en 2020 à 4,1 millions d’euros en 2021. Cela a permis d’augmenter le montant moyen de gratification (pour le travail domestique - NDLR) de 10 %, soit 1,10 euros/heure »

Aucun statut social

Le travail en prison ne fait l’objet d’aucun cadre légal au sens de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Cette position prise par le législateur est lourde de conséquences. Une personne incarcérée est embauchée sur des bases arbitraires, peut être renvoyée du jour au lendemain sans justificatif ni préavis, n’a pas droit au chômage et ne cotise pas pour sa pension. 

En outre, l’environnement de travail ne semble ne pas toujours adapté aux besoins des travailleurs. En ce qui concerne les normes de sécurité et d’hygiène, certains établissements ne présentent pas les conditions de salubrité minimales requises : pas de chaussures de sécurité adaptées, pas de protections auditives, manipulation de produits chimiques sans ventilation adaptée, etc. « Ces conditions relève du premier âge industriel offrant aux détenus la condition des ouvriers d’avant le salariat et les luttes syndicales », dénonce l’OIP. La Ligue des droits humains pointe aussi du doigt un dumping social qui fait de l’ombre aux entreprises de travail adapté.

Un levier pour une réinsertion réussie

« Entreprendre de manière responsable, tout le monde y gagne. Mots clés : réinsertion, social, avenir », annonce encore Cellmade. La Constitution belge garantit le droit au travail et à la sécurité sociale à tous les citoyens (article 23). Le détenu est un citoyen. Il est momentanément privé de liberté, mais pas de ses droits. Or, la législation sur le contrat de travail ne s’applique pas en prison. Cherchez l’erreur.

Et pourtant, les statistiques le démontre : les détenus qui commencent à travailler pendant leur peine récidivent 38% moins souvent que le reste de la population carcérale. Le travail en prison se retrouve donc aussi imbriqué à l’espoir de sortie en conditionnelle pour bonne conduite, avec des perspectives re-socialisantes, une des fonctions principales de la prison. En effet, comment envisager une remise à flot viable si l’on réinjecte brutalement dans la société des personnes qui ont été coupées du monde extérieur pendant la durée de leur détention.

Le contrat d’emploi pénitentiaire

C'est pour y remédier que le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a présenté, il y a deux ans, en Conseil des ministres son projet de loi « pour la confiance dans l'institution judiciaire », qui prévoit notamment la création d'un « contrat d'emploi pénitentiaire ». Entrée en vigueur le 1er mai 2022, ce nouveau cadre légal permet de fixer la durée légale du temps de travail, le régime des heures supplémentaires et les temps de pause. Il ouvre également les droits à l'assurance-chômage, à l'assurance-maladie et à la retraite aux détenus, dont ils sont le plus souvent privés. En Belgique, rien n’est actuellement prévu.