Elle replonge dans son histoire quitte à faire éclore des secrets qu'elle avait mis toute une vie à dissimuler.

Lecteurs, souvenez-vous de ce livre du même auteur : Le garçon en pyjama rayé.  Berlin 1942. Bruno a 9 ans, et vit avec ses parents et sa soeur dans une belle maison. Son père, un officier nazi, vient d'avoir une promotion et ils déménagent hors de Berlin. Bruno est triste de se retrouver loin de tout, dans une lugubre maison. De sa fenêtre, il peut voir des silhouettes d'hommes, de femmes et d'enfants, tous vêtus de pyjamas rayés. Personne ne veut lui expliquer qui ils sont.

« Peut-être que tu as peur de ce que tu découvriras si tu vas voir de l’autre côté de la clôture. »

—Je n’ai peur de rien, rétorqua l’enfant, bombant le torse devant un tel affront.

1946. Trois ans après un événement tragique qui a fait voler leur vie en éclats, la mère et sa fille Gretel quittent la Pologne pour Paris. Honte et peur chevillées au corps, elles ne savent pas encore combien il est dur d'échapper au passé. Pour la gamine, elle est la fille du diable. « La disparition de mon frère était un événement auquel je m'autorisais à peine à penser, mais celle de mon père était présente dans mon esprit tous les jours.

Je commençais lentement à comprendre à quoi il avait participé à quoi nous avions participé. Le caractère inhumain de ses actes contrastait tellement avec l'homme que je croyais avoir connu qu'il aurait pu s'agir de deux personnes distinctes. Je me répétais que rien de tout cela n'était ma faute, que je n'étais qu'une enfant, mais dans un petit coin de mon cerveau, une question ne cessait de me tarauder: si j'étais complètement innocente, pourquoi vivais-je sous un nom d'emprunt ? »

« Je vivais dans un songe. Les rires et les conversations joyeuses des autres enfants formaient une musique perturbant le désarroi silencieux qu’était devenu mon quotidien. »

« Mère était devenue une ivrogne calme. Apparemment, son nouveau projet de vie était simple : noyer ses cauchemars dans l’alcool, et tant qu’elle avait un lit pour dormir et une bouteille à vider, aucune raison de s’inquiéter. Rien à voir avec la mère qui m’avait tenue dans ses bras si souvent dans mon enfance, avec la femme du monde élégante qui vivait comme une vedette de cinéma, toujours coiffée à la dernière mode et vêtue de robes magnifiques. »

De décennie en décennie, Gretel vivra mille et une péripéties, croisant de vieux démons. 

« — Mon nom n’est pas entaché d’infamie comme le tien. Ton père, c’était lui le responsable, le chef. Un adulte, qui avait au moins quarante ans. J’étais juste… comment dit-on ? Un complice. Un adolescent qui se déguisait et savourait le pouvoir qui lui était tombé dessus. Ton père était un monstre. J’étais seulement l’apprenti du monstre.  Je prenais plaisir au pouvoir que j’avais entre les mains. C’était à la fois excitant et effrayant.»

Après un séjour très traumatisant à Paris, elle s’installera à Sydney qu’elle fuira néanmoins assez rapidement. « Au fond de moi, je savais bien que seize mille kilomètres ne suffiraient pas pour obtenir l’absolution. »

C’est Londres qui lui ouvrira finalement les bras… mais sans l’apaiser totalement. Elle restera toujours rongée par les démons de la culpabilité.

Remarquablement construit, haletant jusqu’à la dernière ligne, voilà un livre qui vous « happe » du début à la fin et vous impressionne par sa fine connaissance de l’humain sous toutes ses facettes !

La vie en fuite – John Boyne – Éditions JC Lattès – 2023 – ISBN 9782709670630