Ce midi-là, Mohammed sortait de la grande mosquée. Soudain, un jeune homme surgit derrière lui, brandit un couteau et l'attaqua. Mohammed eut juste le temps d'esquiver le coup par la grâce d'un réflexe salvateur. La lame lui arracha tout de même un bout de l'épaule gauche, le faisant tituber. L'assaillant s'enfuit au galop, renversant jarres et paniers et bousculant les infortunés qui croisaient son passage. Mohammed fut rapidement entouré d'autres marchands et d'une foule de badauds. Sa blessure, superficielle quoique douloureuse, fut vite soignée et il put rentrer chez lui. 

L'incident, toutefois, n'avait rien d'anodin. Mohammed se savait menacé. Il était un « faqih », un érudit. Il était un ami du grand cadi Zayd, le principal magistrat de la ville, qui était aussi son cousin par alliance. Par sa position, son avis comptait. Il connaissait d'ailleurs bien la « charia », la loi islamique, mieux que le juge lui-même. Zayd avait été placé à son poste à la suite de manœuvres politiques astucieuses alors qu'il ne s'intéressait guère aux affaires juridiques. Mohammed travaillait, Zayd se pavanait. Mais au fond, ce rôle de bibliothécaire dans l'ombre lui convenait parfaitement. Au moins cela lui évitait-il ces réunions mondaines détestées où l'on colportait tant de rumeurs que leur vacuité, disait un proverbe, alimentait les vents venus des montagnes de l'Atlas. 

Or, quelques jours plus tôt, malgré une offre alléchante en dirhams et des « conseils » insistants, Mohammed, entendu comme témoin, avait refusé en public d'intercéder dans un litige immobilier en faveur d'Abu al-Qasim Ibn Maljum, un riche propriétaire issu de l'aristocratie de la ville et qui avait fait ériger un belvédère au détriment d'un voisin, assurant que cette parcelle lui appartenait. Devant le cadi, Mohammed avait même pris fait et cause pour l'autre partie, tout simplement parce qu'elle était dans son bon droit. Quoiqu'embarrassé, Zayd n'avait pu que donner tort à Ibn Maljum lui intimant l'ordre de détruire sa construction récente et de restituer les terres volées. Abu al-Qasim avait perdu beaucoup dans cette affaire et avait juré de se venger de cet affront inhabituel. Mohammed était comme ça, incorruptible dans un milieu où tout le monde était gangréné par l'appât du gain facile. Pour lui, c'était une question de respect de la Foi et de la Justice. Difficile de ne pas voir, dans l'agression subie ce jour-là, les représailles promises par cet Ibn Maljum. Abu al-Qasim avait en outre une autre raison de s’en prendre à lui : son cousin Abd ar-Rahim, un bibliophile réputé, souhaitait, de notoriété publique, s’emparer du poste de conservateur à la bibliothèque de la Quaraouiyine.

Laissant Fès derrière eux, Mohammed et sa famille prirent la route vers Tanger. Dans leurs maigres bagages, un coran calligraphié de la main même de Uthman ibn Affân, troisième calife à Médine et successeur direct du Prophète Muhammad.

Mais le malheur les rattrapa.

Comment survivre lorsque vos parents sont assassinés sous vos yeux ? Comment retrouver votre bien le plus précieux, votre seul espoir d'une vie meilleure, lorsqu'il est dérobé par des puissants ?

Adam, Malik et Zina se mettent en quête d'un coran rare serti d'une émeraude, mais aussi de leur identité et de leur avenir. Sur ce voilier, lorsque leur destin bascule, c'est celui de toute l'Europe qui chavire. Car entre jeux de pouvoir et guerre de religions, leurs aventures vont les conduire jusqu'à la plus grande bataille de la Reconquista.

L’émeraude du calife – Alain Narinx – Éditions Academia – 2024 – ISBN 9782806135711

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