François Roux évoque d’une écriture pudique les impossibles retrouvailles de deux êtres qui se sont rencontrés il y a quelques dizaines d’années déjà. La nostalgie de ces heures fusionnelles, la grande absence qui s’ensuivit. Pour Paul, le Français, retrouver l’endroit, la ville où…

Paris, août 1944. Alors qu'ils fêtent la victoire contre l'Allemagne, Stanley, un Américain de 30 ans, et Paul, 19 ans et originaire de Bretagne, tous deux soldats, tombent amoureux l'un de l'autre. Malgré leur passion naissante, ils sont contraints de se quitter une semaine plus tard.

En ce qui concerne Paul, marié à présent, père de famille, c’était le souhait auquel il tenait le plus. Il avait surtout en tête une idée obsessionnelle qu’il nourrissait depuis le moment où il avait décidé d’entreprendre ce voyage : il voulait dérouler le fil de la semaine qu’il avait passée avec Stanley, ce soldat américain de neuf ans son aîné,  retrouver l’énergie des lieux où ils s’étaient baladés, enivrés, aimés. Voilà vingt ans que Stanley avait physiquement disparu de sa vie et l’image de son américain continuait à le hanter, au plus profond de son esprit et de sa chair, comme une petite flamme que le souvenir entretient et qui se refuse à mourir. 

Extrait :

La brasserie finit par fermer ses portes, ils n'étaient plus qu'une dizaine à siroter les fonds de leurs verres et à brailler les mêmes âneries qu'ils ne se donnaient plus la peine de traduire, même par des gestes. Les héros étaient épuisés. Cela faisait longtemps que Paul était silencieux, tête baissée, le regard rivé à ses godillots crasseux de soldat, faussement assoupi, attendant que quelque chose se passe - que Stanley lui donne un signe -, alors qu'il se sentait plus vivant que jamais, que chaque millimètre carré de sa peau brûlait, tant la violence de son espérance était immense.

Stanley se leva soudain, salua la compagnie d'un geste qu'il s'efforça de rendre élégant et s'éloigna. Une centaine de mètres en contrebas, semblant connaître le quartier comme sa poche, il fut avalé par l'obscurité de la troisième rue qui se présenta sur sa gauche. Quand Paul fut certain que l'attention des autres était retournée aux petits événements de la tablée, il se leva à son tour et étira les bras en bâillant grassement, faisant mine d'être saoul alors qu'il avait au contraire toute sa tête et, plus que cela encore, un désir qui le tenaillait et le rendait libre et vif, incroyablement lucide. Sa jambe heurta à dessein une chaise qui se mit à vaciller, indécise, sur l'un de ses quatre pieds avant de s'écraser sur la terrasse dans un fracas qui fit tressaillir les derniers clients. Albert, le meilleur camarade de Paul, se leva d'un bond et mit son bras autour de ses épaules.

  • — Eh, mon Paul, tu es complètement fait, viens, je... je... te ramène. 
  • — Fous-moi la paix, fit Paul en le rembarrant avec excès.
  • — Laisse-moi faire, bon sang, insista Albert.
  • Paul le toisa.
  • — Tu ne comprends pas que... que j'ai... j'ai besoin d'air pur! ânonna-t-il en hurlant. Putain, Albert, d'air pur !

Au fil du temps, quel regard porter à l’être plus jeune qui subit à son tour moqueries et sarcasmes et le conduisent au mutisme ? Luca avait une moue boudeuse, mais que cachait-elle ? Que faire face aux ravages du conformisme social, au douloureux passage de la clandestinité à la légalité... 

Le lecteur observe au départ les choses de manière détachée, comme un entomologiste découvre avec circonspection les usages d’une population d’insectes jusqu’alors inconnue de lui.

La Vie rêvée des hommes ou la chronique d'une lutte historique et intime pour la défense des droits homosexuels nous invite à un ballet de lucioles bien surprenant !

La vie rêvée des hommes – François Roux – Éditions Albin Michel - 2021 – ISBN 9782226455734