Des attouchements et comportements non désirés

Du 10 au 13 octobre 2022,  l’association ESWA (European Sex Workers Rights Alliance) a tenu un congrès en collaboration avec des organisations partenaires locales, dont UTSOPI. L'événement s’est tenu au Bedford Hotel, à Bruxelles. A cette occasion, « nous avons le profond regret de vous informer que plusieurs allégations de mauvaise conduite ont été formulées à l'encontre du directeur intérimaire de UTSOPI, Daan Bauwens », écrit Sabrina Sanchez, Coordinatrice de l'ESWA, dans un courrier rédigé en anglais daté du 14 octobre 2022 et adressé au conseil d’administration. « Au cours de cet événement, plusieurs travailleurs du sexe ont interpellé les membres de l'équipe de l'ESWA pour nous informer qu'ils étaient profondément mal à l'aise avec les agissements déplacés de Daan Bauwens (…) telles que le franchissement des limites personnelles des participants, des attouchements ou des comportements non désirés ». La coordinatrice de l'ESWA, Sabrina Sanchez, et le responsable des opérations, Luca Stevenson, ont alors interpellé une première fois, le 11 octobre dans la soirée,  Daan Bauwens pour l’inviter à respecter l'espace personnel de chacun pour la suite de la manifestation. « Malheureusement, la situation s'est détériorée le 12. Au cours de la journée, plusieurs participants se sont sentis mal à l'aise face aux actions et attitudes de Daan et à son manque de respect pour les autres ». L'équipe de l’ESWA s’est à nouveau entretenue avec Daan Bauwens le 12 au soir, lui suggérant fortement de ne plus participer à l’événement et de rentrer chez lui. « Vers 23 heures, Daan a toutefois rejoint le bar où les participants au Congrès se réunissaient. Plusieurs participants travailleurs du sexe, fortement mal à l’aise par sa présence, lui ont demandé de quitter les lieux. Face à leur insistance, Daan est finalement parti ». Mais de préciser : « Plusieurs participants au congrès ont craint pour leur sécurité et l'un d'entre eux a eu une grave crise d'angoisse à cause de son comportement. À la demande de plusieurs participants, Maxime Maes a explicitement demandé à Daan de ne pas assister à l'événement organisé le lendemain au Parlement européen ».

« L'ESWA reconnaît clairement sa responsabilité en ce qui concerne le bien-être et la sécurité des travailleurs du sexe lors d'un événement organisé par ses soins. Nous n'avons pas été en mesure de mieux protéger les participants à la conférence contre le comportement inapproprié de Daan. Nous vous écrivons ce courriel dans l'espoir que vous comprendrez notre position et l'importance de prendre des mesures décisives pour éviter tout autre problème. Afin de préserver le bien-être de nos de nos bénéficiaires, membres et partenaires, l'ESWA ne collaborera plus avec l'UTSOPI sur des projets, activités et événements avec la participation ou la présence de Daan », ponctue Sabrina Sanchez, Coordinatrice de l'ESWA.

Le conseil d’administration d’UTSOPI ébranlé

Dans la foulée de cette missive, une membre d’UTSOPI, dont nous réservons l’anonymat, envoie, le 28 octobre 2022, un mail au board et aux membres. « Bonjour à tou.te.s. Certain.e.s d'entre vous sont au courant de la situation. Je n'y reviendrai pas par écrit. Vous aurez vu, sans doute, comme moi, avec une immense tristesse les démissions de Sonia et Laïs. Sachez, avant tout, que je suis entièrement solidaire de leur décision et que mon cœur me porte très clairement à les rejoindre en l'état »

Et de poursuivre : « Néanmoins, je pense qu'un départ de ma part aboutirait à une victoire de ceux qui sont à l'origine des dissensions. De plus, un abandon complet, aboutirait vraisemblablement à la fin de l'association, et donc à ruiner le combat que nous portons, tou.te.s depuis tant d'années, et ce alors même que nous somme si près du but, avouons que ce serait dommage. J'ai beaucoup hésité. Ma conclusion est que, pour essayer de sauver l'association, si tant est que cela soit possible, il me faut rester temporairement. Sachez que je me désolidarise de la totalité des décisions prises depuis ce mercredi. Je demande la convocation en urgence d'une assemblée générale de nos membres, au plus vite de ce que la loi permet (…) Je serai présente à cette Assemblée Générale pour expliquer la situation, en toute transparence. Je demande que soit porté à l'ordre du jour de cette Assemblée Générale une motion de censure contre l'intégralité du board actuel subsistant, après les démissions de Laïs et Sonia. Si la motion de censure est acceptée, le board renouvelé, je dépose ma candidature pour continuer cette aventure avec vous et essayer de progresser car je crois en notre cause. A défaut, je remettrai ma démission moi aussi, car je refuse de m'associer à un board qui cautionne des violences sexistes et sexuelles ». Il nous revient que si le conseil d’administration a réfléchi à une mise à l’écart de Daan Bauwens, il a finalement été maintenu dans ses fonctions et aucune Assemblée Générale n’a été convoquée, ce qui a provoqué un énorme sentiment de frustration chez les travailleuses du sexe qui ne se sont pas senties soutenues, pire, abandonnées à leurs faits d’harcèlement.

Des craintes pour l’évolutions d’UTSOPI

« J'ai vraiment peur que l'orientation actuelle d'UTSOPI ne fasse reculer ce pourquoi nous nous sommes battues ensemble durant toutes ces années », nous livre l’une d’entre elle. « On a lutté pour un plus grand respect des précaires que nous sommes et pour une déstigmatisation. Et on nous stigmate au sein-même de l’association, comme si on était sur le trottoir ! ». Et une autre travailleuse du sexe de nous préciser : « C'est parce que nous avons toujours fait attention à notre image, c’est parce que nous sommes des femmes dignes, nous les travailleuses de rues, que nous avons obtenu des avancées majeures pour l’amélioration du statut des prostituées. Certains comportements me choquent profondément. Ils ne sont pas représentatifs d’UTSOPI ». « Dans cette dérive sexiste, UTSOPI s’éloigne aussi de ses visées syndicales pour participer à un festival porno qui fait la promotion du ‘sexe décomplexé’. Le travail du sexe, ce ne sont pas les extrêmes ! Notre réalité, ce n’est pas du cinéma ! Le Brussels Porn Film Festival ne représente en rien les travailleuses et leur quotidien. Cela les décrédibilise. Et ce n’est pas de la pudibonderie abolitionniste que d’affirmer cela ! », nous confie une troisième. 

Être prostituée n’a rien de divertissant

Le Brussels Porn Film Festival (BxIPPF), c'était ce premier week-end de mai à Bruxelles. Pour la deuxième année consécutive, les amateurs du genre ont pu découvrir plus d’une centaine de films abordant « les pornographies alternatives ». Le thème de cette année : Porno, Art et Résistance. Pourquoi la direction d’UTSOPI a-t-elle décidé de s’associer à cet événement, c’est la question que se posent les travailleuses du sexe. « C’est du grand n’importe quoi ! Que le sexe alternatif ait une place à UTSOPI est une chose, mais il représente moins d'1% des travailleuses du sexe qui ne s’y retrouvent pas du tout. Comment UTSOPI qui vit de subsides pour aider les TDS les plus précaires et lutter contre la traite des êtres humains, arrive à financer et à promouvoir ce genre de Festival ! Comment nous sentir encore soutenues par un syndicat porté par un board qui ne représente plus toutes les formes du travail du sexe et qui focalise toute son attention sur la légèreté et le divertissement ».

Dans une interview accordée au média BRUZZ, le 26 mai 2022 (Expert Daan Bauwens over het taboe op prostitutie : Sekswerk is meer dan gevaar), Daan Bauwens déclarait : « Il ne s'agit pas seulement pour les travailleurs du sexe de pouvoir exercer leur travail en toute liberté, mais aussi pour la sexualité en général d'être libérée de son carcan condescendant. C'est une étape sociale importante (…) La pornographie et le commerce du sexe ont provoqué une scission importante dans le féminisme. Il y a le courant qui dit que le travail sexuel est une marchandisation du corps féminin, qu'il ne peut jamais s'agir d'un choix libre de la femme, que la prostituée est toujours une victime. La prostitution est une conséquence du capitalisme. Nous devons faire en sorte que la prostitution disparaisse le plus rapidement possible. Et puis il y a les féministes sexuellement positives qui disent : le travail sexuel peut en effet impliquer l'exploitation, mais il peut aussi être différent. Qui sommes-nous en tant que féministes pour dire à d'autres femmes ce qu'elles peuvent ou ne peuvent pas faire de leur corps ? C'est ce courant qui dit : regardons maintenant le travail sexuel à travers le prisme du plaisir, et pas toujours du danger. Les personnes sexuellement positives affirment plutôt que le travail sexuel peut être valorisant, qu'il peut être expérimenté, avec d'innombrables formes d'expression, en mettant l'accent sur le contrôle de son propre corps, mais aussi en insistant sur le consentement, sans aucune forme de coercition ».

Des féministes sexuellement positives ? Libérées d’un carcan condescendant ? Pour d’innombrables formes d’expérimentation ? A travers le prisme du plaisir ? Un point de vue, certes, mais toujours avec consentement et sans coercition, une condition qui elle ne se discute pas. Ce vendredi 5 mai, notre rédaction a pris contact avec Daan Bauwens pour lui donner la parole face aux accusations qui l’accablent. « Vous me prenez au dépourvu », nous a-t-il sommairement répondu. Nous lui avons donc donné l’occasion de préparer son droit de réponse et de s’en expliquer le lendemain, samedi 6 mai. Il n’a plus jamais daigné décrocher à nos appels. Que faut-il dès lors en penser ?