Le 1er février 2023, alors que la commission commençait l’examen du projet de loi, les critiques n’avaient pas manqué. Si la différence entre les victimes résidant en Belgique et les autres a été supprimée dans un amendement, la revendication centrale de ces dernières a été écartée, soit la création d’un fonds de garantie, comme l’avait recommandé la commission d’enquête sur les attentats de 2016. Si le gouvernement invoque des questions d’efficacité, le sort des victimes est abandonné aux compagnies d’assurance. Or, un fond public permettrait aux victimes, notamment les « victimes invisibles », qui n’ont pas pu introduire de demande auprès des compagnies d’assurances dans les délais impartis, de pouvoir à nouveau le faire. On appelle « victimes invisibles » celles qui n'ont pas été blessées physiquement, mais qui ont subi un choc traumatique aigu soit directement, soit en dommage collatéral en tant que proches de victimes directes. Pour Angélique, Olivia, Carine et les autres, le 22 mars 2016 a définitivement changé leur vie. Si elles ne sont pas des victimes physiques des attentats de Bruxelles, à l’identique des militaires ou des journalistes de guerre, psychiquement meurtries, elles sont depuis dans un état de stress post-traumatique (ESPT) qui a fait voler leur quotidien en éclats. Ce mardi 18 juillet, l’association Life4Brussels a communiqué, au nom de ses 619 victimes membres, une lettre ouverte à l’attention des députés fédéraux pour que leur statut de victimes soit enfin reconnu.

Blessures psychiques et séquelles invisibles

« Je n’ai plus d’espoir, plus d’envie de vivre. La vie représente aujourd’hui pour moi, un combat quotidien, une source d’inquiétudes et d’angoisses. Et pourtant, il me faut rester debout pour mes proches, pour mes enfants, qui ne me comprennent plus et qui souffrent pourtant tout autant que moi. Je me sens seule, depuis bien trop longtemps, seule face à ma souffrance, face aux difficultés que je rencontre pour maintenir le cap, faire vivre ma famille, me reconstruire, obtenir cette reconnaissance à laquelle il paraît que j’ai droit. Je n’ai jamais été prise en charge, je n’ai jamais été informée de mes droits, si ce n’est par l’association Life4Brussels. Je pensais n’avoir droit à rien, raison pour laquelle je n’ai fait aucune démarche, y compris vis-à-vis des assurances. Je ferai certaines démarches vis-à-vis de la commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence, quelques années plus tard, grâce aux informations reçues par l’association Life4Brussels. Le 22 mars 2016, j’ai failli perdre la vie, mais l’Etat belge s’en est-il soucié? Se soucie-t-il des centaines d’autres victimes, qui comme moi sont seules, ignorent tout de leurs droits et décideront peut-être un jour de mettre fin à leur vie par désespoir, comme l’ont déjà fait certaines victimes? ». Ce témoignage poignant est celui de Margarita, l’une des victimes des attentats perpétrés à l’aéroport de Zaventem. 

Attentats, prises d’otages, accidents graves, catastrophes naturelles, sont autant d’événements tragiques suite auxquels des victimes peuvent subir les retombées douloureuses d’un stress post-traumatique. Ces blessures invisibles ont conduit à des drames pour certaines d’entre elles, tels que l’euthanasie, le suicide et le cancer ! « Le procès d’assises a mis en lumière ces blessures invisibles qui tuent ! Ce sont des débats publics qui touchent, et qui concernent la société dans son ensemble. Nous ne pouvons plus l’ignorer ! », rappelle Life4Brussels dans son interpellation.

La nécessité d’une disposition transitoire

« Aujourd’hui, le projet de loi d’indemnisation des victimes de terrorisme les conforte dans ce sentiment d’abandon, voire, de mépris, en ce qu’il ne comporte aucune disposition qui permettrait aux victimes des attentats du 22 mars 2016 qui n’ont jamais été informées de leurs droits, d’être indemnisées (…) Leur demande est simple et consiste à prévoir une disposition transitoire afin de permettre aux victimes qui n’ont pas pu saisir les compagnies d’assurance dans les délais impartis, de pouvoir le faire ».

Life4Brussels pointe également un disfonctionnement qui a alimenté  la non-reconnaissance de ces victimes et dont il convient de tenir compte pour corriger le tir : « Ces victimes invisibles n’ont pas fait l’objet d’une identification exhaustive par l’Etat belge, malgré les directives européennes qui l’y contraignent. L’identification de la plupart des victimes était pourtant aisée, s’agissant d’employés de l’aéroport, de voyageurs référencés sur des listes, et d’abonnés du métro. Elles n’ont de ce fait pas été prises en charge, ni été informées de leurs droits ».

Le besoin d’un fonds de garantie

Depuis 2017, Life4Brussels attire aussi l’attention de nos responsables politiques, comme celle de l’Union des assurances « Assuralia », sur les risques de survenance d’un nouvel attentat et de ses conséquences pour les victimes, en l'absence d’un fonds d’indemnisation. L’association avait illustré l’hypothèse en donnant l’exemple d’un attentat à la kalachnikov sur la Grand-Place de Bruxelles. De tels faits, s’ils venaient à se produire, ne seraient pas couverts par une assurance, mettant ainsi en évidence les manquements législatifs en la matière.

En outre, « dans le projet de texte actuel, même si une disposition porte le délai de prescription à 10 ans, celui-ci n’est pas suffisant. Des experts en traumatologie post-attentat déclarent que les victimes mettent parfois plusieurs années avant de se rendre compte, à raison, qu’elles ont subi des dommages importants, qu’ils soient physiques et/ou psychologiques ». 

Madame HURET, psychologue à l'hôpital militaire Reine Astrid, invitée à témoigner en tant qu’experte, à l’audience de la Cour d’Assises, a précisé « qu’au niveau psychologique, les thérapeutes peuvent aider la personne à mieux gérer les émotions. Toutefois, les images, les bruits les silences resteront à tout jamais. On va mieux gérer les intrusions, les réactions émotionnelles. »  Elle conclura en disant, sans être défaitiste mais bien réaliste, qu’« il n’existe pas de guérison possible, mais qu’avec l’aide de professionnels, on peut apprendre à vivre avec » !

« En 2017, la plupart des parlementaires avaient fait la promesse aux victimes, qu’elles ne feraient pas l’objet du jeu habituel de l’opposition et de la majorité, comme ce peut être le cas à l’occasion d’élaborations de textes législatifs. Ils avaient exprimé leur volonté de mettre de côté les clivages partisans, pour se concentrer sur l'intérêt des victimes et leur rendre justice. Les victimes vous demandent aujourd’hui de garder ce vœu à l’esprit », précise Life4Brussels.

Au nom de la solidarité nationale

En France, depuis 27 ans (!!!), au titre de la solidarité nationale, un fonds de garantie des victimes, créé par la loi du 9 septembre 1986, indemnise toutes les victimes blessées, ainsi que les ayants droits des victimes décédées, quelque que soit leur nationalité.

En outre, à la suite du procès des attentats de Paris, la Cour de cassation française a précisé certains dommages « non visibles » précédemment non pris en compte dans deux décisions récentes. Le conseil d'administration du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) peut indemniser de 5.000 à 30.000 euros le préjudice d’angoisse de mort imminente.  (A lire ci-dessous)

L'arsenal législatif français mis en place, au nom des victimes,  devrait être dotée d’une inspiration singulière dans le contexte belge du procès des attentats de Bruxelles …