Le frère de Sanda Dia, Seydou Dia, et son père, Ousmane Dia, ont pris la parole durant l'audience de ce 20 mars. « Je suis en colère, très en colère, a entamé le papa. Je suis en colère contre la KU Leuven. Je suis en colère contre ces jeunes hommes ici présents et je suis en colère contre leurs parents. Quand j’ai tenu la main de mon fils à l’hôpital le 5 décembre 2018 pour l’empêcher de partir, ces parents étaient occupés avec leurs avocats, les meilleurs de Belgique ». Il a ensuite expliqué « ne pas avoir de haine et avoir foi en la justice ». Parmi les prévenus – à qui revient le dernier mot – quatre membres du cercle Reuzegom ont saisi l’occasion pour s’adresser à la famille de Sanda Dia afin de leur présenter leurs plus « sincères » excuses pour le chagrin occasionné à toute une famille. Mais est-ce que cela suffira à alléger la peine encourue. La cour d’appel d’Anvers a pris l’affaire en délibéré. Elle rendra son arrêt le 26 mai à 11 heures. Retour sur une dérive estudiantine avérée.

Reconstitution des faits

Dans la nuit du 4 au 5 décembre 2018, Sanda, accompagné de deux autres étudiants, participe aux dernières épreuves qui feront de lui un baptisé du cercle Reuzegom. Après avoir été forcés d'ingérer une quantité énorme d'alcool le premier soir, notamment un litre de gin et de la bière, les « bleus » rejoignent leur kot où les robinets d’eau ont été occultés avec du scotch pour les empêcher de s'hydrater. Le drame va survenir lors du « jour de l'humiliation ultime », soit le lendemain. Les trois étudiants se retrouvent dans un chalet à Vorselaar. Ils sont forcés d’ingérer une mixture composée en grande partie d'huile de poisson, avant d’être maintenus debout dans un trou rempli d'eau glacée que les membres du cercle utilisent comme toilette à plusieurs reprises, alors que les trois « bleus » sont dedans. C'est lors de cette épreuve que, gelé et déjà mal en point, Sanda Dia tombe inconscient. Il faudra plusieurs heures avant qu'il ne soit emmené à l'hôpital UZA à Edegem, avec ses deux camarades d'infortune. À son arrivée, sa température corporelle est de 27,2°C, il souffre d’hypothermie et saigne du nez et de la bouche. Il décèdera le 7 décembre 2018 d’une défaillance multiple de ses organes. 

Le cercle étudiant interdit

Dès le lendemain du décès de Sanda Dia, le cercle étudiant Reuzegom se voit retirer son autorisation par la KUL. En 2017, sa réputation n’était pourtant déjà plus à faire, notamment à la suite de la mise à mort d'un cochon qui avait été tué d'une balle dans la tête et de lapins égorgés par des étudiants forcés de le faire. Dans la foulée de ces événements, la KUL avait soumis à tous les cercles une charte afin de sensibiliser les étudiants aux responsabilités qui leur incombent lors des activités de baptême. Aucune contrainte corporelle ou mentale, aucune humiliation, aucun traitement dégradant, ne peuvent être exercés à l’occasion des manifestations qui émaillent le parcours proposé aux étudiants en vue de leur accueil et intégration à la vie universitaire. De nombreux cercles, dont le Reuzegom, avait cependant refusé de signer ce document. 

Sexisme, racisme et humiliation

Dans la foulée des événements, Kenny Van Minsel, le président de l'organisation qui regroupe les cercles étudiants de Louvain (le Loko) dénoncera également un fait raciste. Sur Twitter, il écrira ceci : « deux mois avant la mort de Sanda, un incident raciste a été signalé dans notre salle des fêtes. Le club en question était le Reuzegom. La cible était Sanda Dia ». Des membres d’un collectif antiraciste, Belgian Youth Against Racism (BYAR), se mobilisent pour réclamer justice au nom du jeune homme. Ils estiment qu’il a subi racisme et humiliation. Ils dénoncent aussi des chants sexistes, antisémites et racistes non indispensables au répertoire des guindailles.

 

Du côté francophone aussi

Le côté francophone du pays n’est pas en reste en termes de dérives estudiantines. En septembre 2013, Fanny, une étudiante Française âgée de 20 ans, participe à une soirée de baptême organisée dans une ancienne église désacralisée de Marcouray (Rendeux) transformée en salle des fêtes du village. L’étudiante en 1ère année vétérinaire à l’ULg, qui ne souhaitait pas boire de l’alcool, est contrainte d’ingurgiter des litres d’eau, à tel point qu’elle est victime d’un œdème cérébral et sombre deux jours dans le coma. Les étudiants responsables seront condamnés pour coups et blessures involontaires par le tribunal correctionnel de Marche-en-Famenne.

L’incident avait créé une tension entre la Belgique et la France. Ségolène Royal, alors ministre de l’Enseignement en France, avait envoyé une lettre au Premier Ministre belge de l’époque lui demandant d’interdire les baptêmes étudiants en Belgique, les qualifiant de bizutage. Refusant l’amalgame entre baptême et bizutage, Elio Di Rupo lui avait répondu : « qu'il y avait suffisamment de lois en Belgique pour réprimer de tels comportements erratiques. Interdire les baptêmes ne résoudrait rien et porterait atteinte à un folklore généralement bon enfant ».

Le recteur de l'Université de Liège, Bernard Rentier avait, lui aussi, répliqué en écrivant sur son blog : « je suppose qu'en (voulant faire) interdire les baptêmes, qu'on tend à confondre avec des 'bizutages', elle (Ségolène Royal) n'a pas réalisé qu'elle créait une prohibition, meilleur moyen de rendre clandestine une activité qui peut, normalement, être adéquatement encadrée ».

Que dit la loi belge ?

Chaque année, le rituel est le même. En Belgique, les cercles facultaires ont pour tradition de baptiser leurs nouveaux membres par des rituels d’intégration. Tantôt un jeu, tantôt un délit, la frontière entre les deux est fragile et il semble difficile pour certains étudiants de garder le curseur au bon endroit afin de ne pas franchir la ligne rouge. 

Illégal en France, le bizutage se définit comme « le fait pour une personne d'amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif. ». Selon l'article 225-16-1 du code pénal, introduit par la loi du 17 juin 1998, de tels actes peuvent être passibles de six mois de prison et de 7500 euros d’amende. 

Si le bizutage n’est pas formellement interdit en Belgique, certains baptêmes y ressemblent fortement. Les partisans de ces pratiques argumentent que se faire baptiser demeure un choix personnel et que nul n’est contraint d’y participer. C’est oublier que le sentiment d’'appartenance à un groupe exerce parfois une pression sociale telle sur les étudiants qu’il devient extrêmement difficile de ne pas se faire baptiser sous peine de ne pas être « intégré ». C’est là que le libre-arbitre se voit supplanté par une contrainte insidieuse.