C’est le nombre croissant de joueurs dépendants qui préoccupe le gouvernement et le motive. Dès ce 1er juillet 2023, la publicité pour les jeux de hasard se verra imposer par arrêté royal des restrictions importantes. Une série de formes de publicité seront interdites. Le sponsoring connaitra également le même sort à partir de 2025 pour une interdiction totale en 2027. Le texte a suscité la controverse notamment du côté du MR qui a dénoncé une décision hâtive avec de graves effets secondaires. Natalia Grynchychyn, psychothérapeute spécialisée dans les addictions, partage cet avis.

Par l’interdiction annoncée, l’effet dissuasif est clairement recherché par le législateur. Mais, l'interdiction elle-même a-t-elle des effets indésirables ?       

De nombreux scientifiques ont réalisé des études sur le sujet. L’interdiction génère des comportements d'opposition. Elle est un facteur d'attractivité, surtout pour les jeunes. Transgresser l’interdit est tentant, tout simplement parce que d’abord, notre cerveau n’aime pas la négation et ensuite parce que l’interdit est source de satisfaction. L'idée que la transgression d'un interdit pourrait être une source de plaisir n'est d’ailleurs pas nouvelle. On le voit aussi avec les drogues, et particulièrement le cannabis. Les pays qui ont dépénalisé ont ainsi pu une diminution du nombre de consommateurs. 

La perception d’un interdit, voire d’une sanction, est-elle un frein dans le comportement du consommateur ?

La balance bénéfices/risques penche clairement du côté de l’addiction. Le jeu pathologique est une maladie et non une faiblesse, un vice ou un manque de volonté. Comme le toxicomane a besoin de sa dose, le joueur compulsif a besoin de jouer. C’est de l’ordre du vital. Un cerveau addict n’aime donc pas être privé. L’inconscient interprète cela comme un danger de mort. Le jeu est sa dose de bien-être, sa dopamine. En outre, chez certains, l’interdit peut aussi être sociologiquement perçu comme une « exclusion identitaire ». On relève de la sphère des drogués, des joueurs, ce qui va renforcer la consommation dans un sentiment d’appartenance à un groupe exclu, ce qui ancre encore plus dans l’addiction.

En interdisant, alimente-t-on dès lors une augmentation potentielle de la consommation ?

Très certainement. Tous les individus ne réagissent pas à l’identique. Mais, de manière générale, la perception de l’interdit comme une frustration va avoir un effet boule de neige. On obtient le résultat opposé au but recherché. La loi agit donc en sens inverse de l’effet dissuasif puisqu'elle constitue de facto en elle-même une incitation. Un cadre légal répressif produit donc des joueurs.

Si l'interdiction a un effet dissuasif faible, voire un effet d'incitation pour certains, quelle solution préconisez-vous en tant que professionnel de l’addiction ?

Les jeunes publics sont très exposés à tout type d’addiction. La prévention est la meilleure carte à jouer pour éviter qu’ils ne deviennent un jour des joueurs pathologiques. Il faut donc privilégier la sensibilisation et la responsabilisation, plutôt que des logiques d’interdiction. Quant aux joueurs déjà dépendants, cette notion est établie dès lors que l’activité ne se limite plus au simple plaisir. Devenue excessive, elle n’est plus adaptée à la vie quotidienne, se répète et persiste au point de devenir la seule préoccupation du joueur. L’intéressé devient alors, comme je vous le disais, un joueur pathologique. Il adopte une conduite compulsive. Le jeu d’argent est pour lui une réelle obligation. La dépendance aux jeux d’argent est tout à fait similaire à d’autres formes de dépendance comme celle à l’alcool, à la pornographie ou aux médicaments par exemple. Et comme pour toutes les dépendances, il faut se faire aider pour s’en libérer en s’adressant à des professionnels de l’addiction.

Force est de constater que Vincent Van Quickenborne a un peu trop rapidement – comme à son habitude – dressé un tableau de l’épouvante en prétendant que la publicité agit comme un accélérateur d'incendie pour les accros aux jeux de hasard. Il n’y a d’ailleurs aucune étude qui prouve cette corrélation. Bien au contraire, la publicité est nécessaire en raison des objectifs de canalisation, soit faire en sorte que les personnes qui souhaitent jouer en ligne le fasse dans un environnement légal et sûr. La protection la meilleure, particulièrement pour protéger les groupes les plus vulnérables, demeure l’offre légale en ce qu’elle sensibilise à un jeu responsable. Il ne fallait pas être grand sage pour le comprendre…