De mémoire de vieux briscards du palais, l’affaire est inédite. C’est la guerre au palais. S’il fallait s’y attendre et qu’il aurait pu la pressentir, le bâtonnier de l’Ordre francophone des avocats du barreau de Bruxelles ne l’a pas vue venir. Emmanuel Plasschaert se trouve aujourd’hui coincé entre deux tirs groupés. L’huile de première pression en place à Poelaert a eu beau décréter un couvre-feu ;
loin d’apaiser, il a enflammé de plus belle les pans de robe d’une part de ses ouailles.

Flashback. Le 31 janvier, 5 associations dites « progressistes » d’avocats lancent un appel à manifester le 5 février devant les marches du palais, la toge sur le bras. « La Jonction, Aradia, Progress Lawyers Network, Quartier des Libertés et Artemo » sont celles-là. La lettre circule au sein du barreau mais dans des cercles choisis. Elle assène que Israël mène « une guerre génocidaire » (sic). Ajoute que « en tant qu’avocats, il nous semble que la décision de la Cour internationale de Justice soit respectée ». Elle évoque étonnement « la libération d’otages palestiniens » (re-sic), outre les israéliens. Et malgré la publicité progressive de la lettre, le barreau ne voit pas de réaction de son bâtonnier.

Le 2 février, 60 avocats apparaissent signataires d’une carte blanche en réaction et rédigée par Marc Uyttendaele, qui s’insurge. « Nous leur dénions le droit de s’exprimer au nom de la profession qui est la nôtre ». Et « lorsqu’ils annoncent qu’ils auront leur toge sous (sic) le bras, notre dégoût est profond ». « Nous ne manifesterons pas ce lundi devant le palais de justice …, nous ne revêtirons notre toge que pour exercer notre métier ». 

Anne Rayet (qui n’a pas toujours œuvré dans des cabinets « de gauche », ni été proche d’avocats hostiles à l’état d’Israël), publie à son tour une carte blanche alambiquée le 4 février : « aucun avocat n’éclaboussera sa toge ». Hum.

Le bâtonnier sort furibard de son bureau le 8 février, de manière inattendue. Par une lettre circulaire aux signataires de la carte blanche de Me Uyttendaele. Mais qu’il ne leur envoie pas et que leurs destinataires devront trouver dans une chasse aux œufs derrière les colonnes du vieux palais. Plasschaert n’y mâche pas ses mots : Uyttendaele et ses nombreux signataires, parmi lesquels Jean-Pierre Buyle, François Motulsky, Nadine Kalamian, Emmanuel De Bock (Défi), François Tulkens, Marina Blitz et Pierre Sculier (le président de tous les avocats), se seraient livré - les bougres - à une attaque ad hominem contre leurs confrères ! Le dégoût ne passe pas. Pire : le chef de l’ordre reproche sa propre déstabilisation en l’affaire.

C’eût été naïf de croire que Marc Uyttendaele et ses 54 affidés allaient laisser l’affaire en cave aux archives. Dans une nouvelle lettre du 15 février, la guerre est lancée. Cette fois contre le bâtonnier. Stupeur et tremblements. Le reproche du manque de célérité par l’ordre bruxellois de condamner le pogrom du 7 octobre est lancé. La surprise d’avoir laissé des associations d’avocats appeler à manifester sur des questions étrangères à l’exercice de la profession est rappelée. L’absence de réaction à une interview donnée par un robin bruxellois au média proche du Hamas « Al-Jazeera » est glissée. Surtout, le reproche de porter atteinte à la liberté d’expression des contestataires est fermement adressé au bâtonnier. Plasschaert se remettra-t-il de l’attaque de sa légion ? L’empereur a des réserves et il lui reste toujours une petite division. Les derniers coups de glaive ont été portés dans la salle même du conseil de l’ordre, face au bas-relief en hommage au bâtonnier Braffort assassiné par les nazis. Malgré les incompréhensions respectives tenant à ce qui est d’ordre déontologique ou non, la paix des braves, un peu par dépit, est peut-être fragilement scellée. Les geôles du palais attendront encore un peu pour les embastiller.